Je ne savais comment entreprendre cette chronique difficile. La plus compliquée qu’il m’ait été donné d’écrire. Une lettre ouverte s'avère souvent commode et du meilleur effet. Toutefois il me semble assez grotesque, voire prétentieux, de s'adresser à un homme public de cette envergure, tout en sachant qu'il ne vous lira pas. Néanmoins si une personne de son entourage tombait sur ces lignes, il ne serait pas inintéressant « qu’il fasse remonter » suivant l'une de ces expressions à la con qui jalonnent désormais leur sémantique libérale. Sans doute n'atteindrait-elle pas seule, les effets désirés, mais elle viendrait s’agglomérer aux dizaines et sans doute centaines de milliers d’avis convergents, silencieux ou à tout le moins discrets. Mélenchon, c'est comme le membre de la famille ou l'ami que l'on a beaucoup aimé ou protégé et qui, progressivement ou brutalement - peu importe -, vous devient toxique. Vous ne le détestez pas, loin s’en faut. Si ça se trouve, même, vous l'aimez encore. Seulement, vous ne le supportez plus. Ici avec Mélenchon, c'est dans les deux acceptions du terme, pour ceux qui me suivent. Replié sur lui-même, recroquevillé sur ses obsessions de pouvoir, il arrive à se fâcher avec la plupart de ses anciens proches. Parfois intimes. Et se rabougrit au sein d'un clan qui s‘étiole et l'isole, le coupant de toutes les réalités, y compris les plus criardes. Je l'ai déjà clamé et revendiqué ici maintes fois. Mélenchon - mais à la vérité d’abord la gauche qu’il promouvait - a été durant de très longues, interminables années, mon phare sur un océan de doutes et de déceptions et les pires tempêtes essuyées par la gauche depuis au moins trois décennies. Dans l'obscurité d'une société malade de vénalité, d’égoïsme, de bêtise, parfois de méchanceté, j'ai vu briller ces quelques étoiles qu'il rallumait une à une. En 2017 et mieux encore en 2022, alors que je ne soutenais pas sa méthode consistant à passer en force, il a tout de même permis à notre camp d’espérer. Mais, des cocos aux écolos en passant par les socialos - insignifiants de jalousie et de rancoeurs - tous s’évertuèrent à lui faire obstacle et c’est pourquoi il rata, nous ratâmes, de bien peu, le second tour. Là, avec élégance, il aurait dû tirer sa révérence. Échouer après une si belle bataille ne le conduisait pas aux catacombes de l'histoire politique de notre pays, mais bien au contraire à son fronton. A mes yeux un perdant qui lutte loyalement vaut bien mieux qu'un vainqueur manipulateur et malfaisant.
Après un premier épisode douteux où il s’auto-désignait Premier ministre, Mélenchon, au lieu de se retirer, s'est donc seulement replié stratégiquement en jetant en pâture à ses successeurs, cette belle formule hélas restée vaine : " soyez meilleurs " ou " faites mieux " - je ne sais plus mais ça revient au même -. Le patriarche (73 ans maintenant !) simula des adieux et s’installa dans la posture du sage - enfin ! - à la tête de l’institut La Boétie, club d’échange, de recherche et force de proposition. Parfait ! Et pour faire mieux, toutes les enquêtes d'opinion, y compris internes à LFI, désignaient François Ruffin. Auquel je me permettrai - parce que j’y tiens - d’ajouter Clémentine Autain. Et c'est à partir de là que le « guide suprême » qu’il avait cessé d’être, inconsolable ne plus exister mais toujours aiguillonné par ceux qui n’acceptent pas le leadership de Ruffin, s’est enfermé et enferré. L’affaire Quatennens, qui lui a pété dans les mains au plus mauvais moment, ne lui a pas servi de signal ! Il a fallu qu'il entre en conflit ouvert avec ceux qui pouvaient faire consensus à gauche. Sans la dissolution de Saint-Emmanuel-les-mains-jointes et l’impératif d’unité pour tenter d’éviter le pire, ils seraient présentement, tous en haillons, encore en train de s’écharper. Mais qu'est ce qu'il avait besoin d'aller se choper avec ses anciens amis, Corbière, Garrido et même Ruffin ! Jean-Luc, qui n'a jamais écouté que son ego - souvent bon conseilleur, il faut le lui accorder -, s'est mis à ne plus suivre que la ligne Bompard, Panot et Boyard qui d’ailleurs, en termes de toxicité, en tiennent apparemment une couche ! Pour Macron et Bardella, c’est du pain béni. Depuis que le bloc communiste de l'Union Soviètique a explosé, que la Russie a même viré dans le camp du fascisme, les droites françaises ont dû se trouver un autre épouvantail à agiter devant ces français à tête de moineau, dépourvus de toute culture et conscience politique. Alors depuis des années et en ce mois de juin plus que jamais, c'est "hou-hou, Mélenchon le vilain Gnafron" ! Et c'est tellement con... que ça marche ! En réalité, ce que ces pauvres piafs ignorent, c'est que Macron et Bardella se servent de Mélenchon pour faire diversion et masquer l'évidence criarde : le programme de la gauche profiterait au plus grand nombre, amènerait de la justice et à terme un climat restauré de concorde et d'humanité dans notre pays au bord de la dépression nerveurse.
Samedi soir, avant de me coucher plus tard encore que d’ordinaire - c’était la pleine lune des fraises (sans relation avec celle que mon héros pourrait sucrer) - j’ai voulu voir comment se tenait "l'ennemi numéro 1", le punching ball des médias, des fachos et des macronistes, dans une émission en longueur de France 5, diffusée en différé sur le net. Il faisait face à deux harpies appartenant à cette génération de journalistes formatées par la finance et qui n’évoluent plus qu’en fonction des euros, comme les ânes avancent à la carotte. C’est que mon pauvre, elles l’ont laminé ! Et pourquoi vous faites peur aux autres ? Et Monsieur Ruffin il a dit ça de vous ! Et alors toujours antisémite M. Mélenchon ! Et cette petite juive que des arabes ( ah non, ça elles ne l'ont pas dit, mais je l’ai quand même entendu ! ) ont violé ? Alors comme il est courageux, cet homme devenu gris et las, enfoncé un peu plus dans son fauteuil sous ces assauts violents et répétés, tenta de se redresser, de riposter, d’attaquer à son tour. En pure perte, il lui manquait le peps, la pêche, la grinta comme disent les sportifs ou le fighting spirit. Cela s’apparentait à du mauvais théâtre, de vieilles répliques éculées, des trémolos dans la voix « Excusez-moi, j’ai beaucoup de mal avec la violence », une indignation surjouée : « c’est une cible que vous placez dans mon dos !» et une incapacité à répondre lorsqu’elles lui demandent pourquoi « il serait plus que les autres révolté par l’antisémitisme » ?...
J’en suis ressorti mal à l’aise, triste au delà de tout, parce que je vais oser le mot, la façon dont il s’accroche à un mouvement qui désormais le dépasse, est pathétique. Cela me déchire, mes amis le savent bien, de l'écrire. Mélenchon a été le politicien le plus brillant de ces vingt dernières années. Aussi bien sur le plan intellectuel qu’en sa qualité de tribun d’exception. Il a surtout porté les idées de justice sociale, du combat contre les privilèges à la protection des plus fragiles. En somme je ne crains pas de dire que j’ai été des siens, sur le plan humain, programmatique, idéologique. J’ai cessé de l’être voici quelques semaines en le voyant s’accrocher lamentablement aux parcelles de pouvoir qu’il pourrait encore préserver en négligeant toutes les règles démocratiques basiques. Ce n’est décidément pas l’idée que j'avais envie de préserver de lui. Et lorsqu’il prend publiquement d'autres bonnes résolutions en affirmant qu’il ne fera jamais rien qui puisse nuire à son camp, il est urgent qu’il tire lucidement les conséquences d’une situation qui lui échappe irrémédiablement. |