Je suis né dans une toute petite ville du Tarn, à moins de 500 mètres de la première ferme. C’était un élevage d’une dizaine de vaches, peut-être vingt, des noires et blanches qui donnaient plein de lait que distribuait l’éleveur lui-même et dont je me suis, bien longtemps, nourri. C’était un immigré italien et sa famille, des gens qui se levaient tôt comme on a – trop - coutume de désigner les honnêtes gens. Mes parents avaient pour meilleurs amis, d’autres paysans - immigrés aussi, mais seulement de la Sarthe – des gens on ne peut plus simples. L’un des couples Olivier avait pu maintenir son activité tant bien que mal en diversifiant les cultures et l’élevage en se contentant de peu et de leur liberté, l’autre avait dû rejoindre une usine de mégisserie. La désertification des campagnes était déjà en marche dans les années soixante-dix. J’ai aussi « fait le cochon » ou, si vous préférez, de manière plus digne tout de même, j’ai assisté à l’abattage de porcs destinés à la transformation et la confection de charcuteries exceptionnelles dont ma mémoire olfactive et gustative n’a rien laissé perdre. Dégusté aussi œufs, lapin, canards fermiers… Nous vivions, sans en avoir conscience, - contrairement à nos parents des trois générations précédentes qui n’avaient connu que guerres et privations - l‘âge d’or de notre civilisation occidentale. C’est-à-dire que nous connaissions la douceur de vivre à l’abri du besoin - même si la quatrième République n‘avait pas éradiqué la grande pauvreté, pas plus que la Cinquième n’y parviendrait – dans un confort nouveau que l‘on disait moderne, en paix et en bonne santé, même si nous fumions et picolions bien davantage. Nous n’avions surtout pas d’autres besoins, ni beaucoup plus d’envies. Et lorsque les jeunes de ce premier tiers du 21e siècle s’agacent que l’on ose dire « c’était mieux avant ! » et bien qu’ils s’agacent ! Car c’était mieux avant et pas qu’un peu ! Ils n’y sont d’ailleurs pour rien si le progrès les emporte en enfer, car si ce sont eux qui en abusent, ce sont tout de même nous, les anciens, qui les avons laissés se faire embrigader dans la société du futile, de la consommation, de la robotisation, de la déshumanisation, sans nous battre, ni seulement réagir. Mais la n’est pas la question.
Je voulais dire combien je suis né très près de la terre et à quel point je me sens bien plus paysan que toute autre chose. La preuve encore, c’est que je me suis ensuite greffé à d'autres agriculteurs en me mariant. Toute la famille de mon épouse est issue de ce monde rude et même spartiate à l’origine, qui s’est accrochée d’abord à la charrue et qui s’est ensuite adaptée, modernisée et a prospéré sans que jamais rien ne lui tombe du ciel, si ce n’est l’eau providentielle, elle aussi hélas en voie de raréfaction. Sans jamais prendre trop de congés, ni assez de repos sûrement, a suivi fiévreusement le cours du lait, puis du porc, du maïs. Utilisé un peu trop de produits chimiques certes, manifesté parfois contre l’Europe et la chute des prix, mais ne perdant jamais ni la raison, ni la dignité. Pas plus que la rentabilité. Relative mais suffisante. L’un de mes beaux-frères a poursuivi dans le même esprit, s’adaptant évidemment à l’évolution du marché, à la modernisation indispensable, mais sans jamais chercher à se faire plus fort que le voisin, en maintenant l’esprit des campagnes.
Las, depuis quelques décennies déjà, nous n’en sommes plus là. L’équilibre, l’équité se sont érodés et au nom du progrès, de nouvelles pratiques sont apparues. Et ce qui marquait la spécificité de la Beauce s’est étendu à toute l’agriculture. Partout les gros ont eu de l’appétit et plus ils grossissaient et plus les autres, autour, avaient faim. Ce que l’on constate aujourd’hui, c’est que si les agriculteurs n’y arrivent plus, si les exploitations ont fermé les unes après les autres, si les petits paysans se sont suicidés et le font encore, ce n’est pas tant la faute de l’État, moins encore de l’Europe bien généreuse avec la France, qu'aux gros exploitants qui avec des méthodes intensives ont occupé la place des humbles, ont inondé le marché de leur énorme production à des prix interdisant toute concurrence. Ainsi les gros agriculteurs formèrent un cartel infernal avec la toute puissante industrie agroalimentaire conduite par le principal Syndicat agricole et la grande distribution, pour inonder un marché ne laissant aucune chance au petit éleveur, au cultivateur comme on disait jadis. Et cela avec la complicité de Saint-Emmanuel-les-mains-jointes et de la Macronsphère qui massacre l'écologie - et les écologistes - pour soutenir les bassines et tout ce qui nuit gravement à la nature. Cela ne me dérange pas qu’une révolte paysanne prenne de l’ampleur, mais j’aimerais qu’elle ne se trompe pas de cible. Et je pense aussi que ceux de l’Aubrac, qui ont participé à divers mouvements - notamment en retournant les panneaux pour affirmer que nous marchions sur la tête (!) – se feront discrets. Car avec d’énormes subventions européennes inhérentes à leur situation en « zone montagne », les éleveurs bénéficient pour les plus gros - on n’en sort pas ! - d’avantages considérables. Il n’est d’ailleurs qu’à voir se multiplier les stabulations – sorte de cages géantes qui abîment le paysage -, la taille disproportionnée de leurs tracteurs, le nombre et la qualité du matériel agricole, ainsi que le bel assortiments de véhicules types 4 X 4 et autres pick up, pour se rassurer sur leur sort !
Enfin, il faut poser sur les grands problèmes, de vrais diagnostics. Si la France, pays de production agricole par excellence, connaît une crise des débouchés c’est d’abord parce que l’État libéral que nous subissons depuis trop longtemps, a fait le choix d'être à l’avant-garde de la mondialisation et du libre-échange. Alors que nous pourrions aisément être autonomes sur l’ensemble des produits de la terre - y compris grâce aux territoires d’outre-mer -, les droites qui nous gouvernent ont préféré importer ce dont nous n'avions vraiment pas besoin, des animaux bourrés d’hormones et d’antibiotiques, des céréales frelatées aux autres pays du monde, tout cela afin de pouvoir en échange, vendre à la folie furieuse, des armes et des avions.
Si c’est à cela que les manifestations actuelles et futures du monde agricole veulent s'attaquer, à ça et aux privilégiés de la FNSEA, nous devrons y adhérer sans réserve. Mais c’est encore à vérifier ! |
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