Ce n'est pas que vous me manquiez, ni que j'avais peur de vous perdre. C'est plutôt la force de l'habitude qui me guide vers vous aujourd'hui, alors que je pensais pouvoir m'en passer au moins pour la semaine. Surtout, je suis tombé dans le piège. Pourtant je sais le faire, couper le poste, ne pas allumer l'ordinateur et ne me servir du téléphone que pour répondre à un ami. Mais non, ce matin à la radio, Gérard Erner avait deux invités qui n'ont parlé que de ça et m'ont parfois agacé, puis j'ai lu deux dépêches, quatre mails et me voici sur les dents. Car le malaise paysan, comme expliqué précédemment, c'est un peu le mien. Mais enfin c'est aussi bien plus complexe que ce résumé-là. Pour moi, il y a deux sortes de paysans, comme il y a deux sortes de citadins, deux sortes de politiques, deux sortes d'individus en somme. Et pas qu'en Picardie (ça c'est pour le jeu de mot pourri et pour Ruffin, qui ne l'est pas, j'espère !) Un paysan - on peut aussi appeler ça un agriculteur et même une exploitant agricole mais là j'aime moins – ce devrait être, à mon sens et plus encore à mon goût, un type qui se lève tôt et roupille à huit heures du soir devant sa soupe et/ou la télévision. Un paysan ce n'est pas un financier, ni même un comptable, c'est un amoureux. Un magicien. Un poète. Un type qui s'extasie tous les jours lorsqu'ils découvrent ses agneaux qui profitent, les labours qui fument et - allons-y pour les poncifs - , le blé qui lève. Un paysan c'est aussi - mais enfin là je vais arrêter de rêver, en préférant écrire : ce devrait être ! - le plus écologiste d'entre tous. Celui qui entretient les sols bien sûr, les cours d'eau aussi, les forêts, les taillis. Celui qui protège les animaux, la faune sauvage et la flore. Celui qui refuse la production intensive et favorise les circuits courts. Celui pratique l'entraide, l'échange et pourquoi pas, quand c'est possible, le troc. Passons, sur les anciens qui saturaient leurs terres d'engrais, balançaient des pesticides à tout va, ajoutaient du sucre dans le pinard, des conservateurs dans les pommes... y a prescription ! L'ennui c'est que ce modèle là, de paysan, s'il respecte tout ce qu'il faut respecter pour être en phase avec la nature, s'il se respecte aussi lui même quelque part, et bien, il ne vit plus. Et il aura beau râler, adhérer à la Confédération paysanne, il sera broyé par le système. Un système pourri que ne dénoncent pas du tout actuellement les gros exploitants agricoles. Si l'industrie agro-alimentaire et les gros négociants, suivis par la grande distribution parviennent encore à fournir de la marchandise à foison, c'est bien que ces grosses fermes productivistes tenues par les militants de la Fédération Nationale des Exploitants Agricoles la leur vend. Certes pas au cours le plus haut, mais ils en produisent tant, avec leurs gros tracteurs, leurs machines infernales et tous ces produits de traitement que le bon sens voudrait que l'on interdise, mais que les beaux lobbies continuent de soutenir et de propager . Que l'on bloque les routes, que l'on mette l'économie en difficulté, que l'on fasse même sauter des symboles d'un État détestable, pourquoi pas. Vous noterez toutefois que lorsque les Soulèvements de la terre s'opposent à la construction de bassines et d'autoroutes, que l'on manifeste contre le recul de la retraite, la loi immigration, la Palestine… les préfets interdisent les rassemblements ou alors, ce sont des troupes policières de Saint-Emmanuel-les-mains-jointes qui déferlent, arrosent, frappent et butent à l'occasion. Mais lorsque ce sont les gros agriculteurs qui commettent des exactions, parfois bien plus conséquentes, alors là on les accompagne et c'est tout juste si Darmanin ne défile pas avec eux. Pardi, cette agriculture là, intensive, polluante et méprisante aussi bien à l'égard du climat que de l'humanité, est totalement consubstantielle de l'ultra-libéralisme et de la mondialisation qui les engraisse, y compris aux antibiotiques et aux OGM, comme tout ce qui nous vient des Amériques... Alors décidément et même si j'avais défloré le sujet récemment, je ne pouvais pas faire comme si je pensais une seule seconde que les paysans qui manifestent ces temps-ci, étaient les pauvres bougres qui ne bouclent pas les fins de mois, qui bouffe des patates et finissent tellement par s'en lasser, qu'ils se suicident (mais attention, je n'ai rien contre les patates !) Oui, il faut arrêter d'encourager le gasoil rouge, lequel doit être taxé comme le diesel routier (il y a des gens qui bossent en bagnole et qui ne bénéficient d'aucun avantage), oui il faut lutter contre la fraude fiscale qui fleurit considérablement dans nos campagnes, oui il faut que chacun paye des impôts, oui il faut des normes draconiennes pour arrêter de saccager la nature qui n'en peut plus qu'on lui tire sans cesser dessus. Mais il faut que chaque travailleur de la terre, celui qui produit et nourrit la planète - comme ils disent !– gagne correctement sa vie et qu'il n'ait pas la sensation amère – et destructrice – qu'on lui vole son travail, qu'on le dévalorise, en un mot toujours efficace : qu'on le prend pour un con ! Pour augmenter les revenus des agriculteurs – ceux qui ne roulent pas avec des tracteurs - parfois deux ou trois - à deux cent mille euros pièce, des outils démesurés et hors de prix, des pick-ups et des Mercedez au garage -, c'est très simple. Il suffit de supprimer tous les intermédiaires, négociants et autres, qui ponctionnent des sommes considérables sans trop que l'on sache quelle est leur utilité et que l'on diminue les marges commerciales, notamment de la grande distribution, qui entre la réception et la mise en rayon se montre parfois démesurément gourmande. Il suffirait aussi et enfin que l'État en finisse avec cette putain de TVA sur les produits de consommation courante et récupère son pognon en taxant les plus riches, à commencer par... les gros exploitants agricoles. Ah ben merde ! Ce sont eux qui bloquent nos routes sous le regard indulgent de nos gouvernants. |
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