Je vais maintenant chroniquer un bouquin avec délectation parce qu’il m’a beaucoup plus. C’est dommage d’ailleurs que je n’aie pas bien plus d’influence que sur une petite deux-centaine de fidèles à mes écrits, car j’aurais voulu contribuer à sa plus large diffusion. Faire connaître un livre, même s’il est bon, voilà qui constitue le gros os de l’affaire et vous savez ici, à quel point j’en parle savamment ! Je vais, disais-je chroniquer Toulon portraits d’une ville avec facilité et donc, sans mérite. Sans forcément l’objectivité absolue, du reste parfaitement inutile voire impossible, surtout dans mon cas, où le parti pris s’avère – quand ce n’est pas sévère -, indispensable. Je ne connais de très près que trois des co-auteurs, cela m’a bien suffit à jauger en amont et sans crainte, de la qualité du produit à venir. En outre, la pléiade de copains ayant accompagné Marc Bayle dans cette expédition plumitive, ont évité l’écueil d’un éditeur Toulonnais que j’ai vraiment dans le nez - Les presses du midi pour ne surtout pas les citer - et jeté l’encre sur le petit îlot culturel créé par Pierre Brousse - qui signe aussi la préface – et dont l’intitulé Capit Muscas édition, laisse entendre un autre bourdonnement. J’aurais tellement voulu aimer Toulon comme les auteurs de cet ouvrage passionnel et patrimonial ! Après tout, j’avais trente-quatre ans pour m’y faire et m’y coller. Je veux dire m’y incruster, comme une huître ou un arapède sur un rocher de Pipady. Il me manquait déjà l’essentiel, le feeling avec la mer. Chaque fois que j’y foutais les pieds, il fallait que ce soit sur un oursin ! Quant au soleil, je n’en ferais pas non plus une insolation. J’aurais tant voulu aimer Toulon, j’y serais parvenu sans peine si, petit gars du sud-ouest sans vice, ni prétention, je n’avais mis l’autre pied, non pas sur un oursin cette fois, mais sur un cactus : le RCT ! De Daniel Herrero à Mourad Boudjellal, la relation avec la rugbyphilie toulonnaise, se révéla fielleuse et indigeste. En sorte que j’éprouvai une sorte de soulagement en découvrant que de rugby, il n’était jamais question au fil de ces 260 pages, du coup, elles, parfaitement digestes et même avalées goulûment. De la préface signée Pierre Brousse à l’introduction - sans mêlée donc -, du coordinateur Marc Bayle, j’ai tout de suite anticipé une succession de récits hagiographiques probablement sincères et légitimement accentués. J’ai souri en découvrant que les auteurs s’accaparaient tendancieusement quelques icônes notoires, Jean Cocteau, le commandant Cousteau, Francis Carco et Django (quelle assonance !) et j’aurais pu ajouter Bécaud, l’un des glorieux natif de Toulon, s’il n’avait été oublié, coupable – effectivement – d’avoir renié sa ville, à la grande exception des Marchés de Provence dont notre nostalgie - comme son accent - n’en finit pas. Quant à Félix Mayol, pourquoi n’a-t-il pas droit au chapitre ? Pas parce qu’il a donné son nom au stade, j’espère ! Voilà, il fallait bien, Léa, José, Patrick, il fallait bien que je balance un brin - de muguet – et que je m’amuse avec vous, car il me plaît comme rien d’autre, de plaisanter avec ceux qui le méritent ! Léa, ma chère Léa, le récit de la brève existence de cette jolie petite marchande de « quatre saisons » quittant Toulon à vingt-sept ans et rejoignant très vite la Résistance des Alpes-Maritimes et Monaco, est superbe et déchirant. A propos des Halles, baptisées Esther Poggio, tu te demandes si la jeunesse toulonnaise branchée venant à l’happy hour, prendra le soin de lire la plaque qui évoque les actes héroïques et le martyr d’une jeune fille qui aurait mérité de vivre et de partager un peu de nos ivresses. Comme toi, j’ose l’espérer ! Et tant que j’y suis, j’ai revisité les quartiers en ta compagnie. Ceux à qui tu offrais le droit d’exister et de revendiquer leurs droits, à pleines pages lors de nos jours heureux à Var Matin (avec, puis sans République ). Cela fourmille, croustille même d’anecdotes, notamment lors des fameuses réunions de CIL. Un jour un ressortissant du quartier Beaulieu met sur le grill l’adjoint municipal et le fonctionnaire chargés du nettoyage de la ville et demande : « Moi, j’ai été à Annecy où tout est propre. Pourquoi c’est propre à Annecy et pas à Toulon ? » Et l’employé de répondre : « Parce qu’à Annecy, il n’y a pas de Toulonnais ! ». Et toi qui la porte si haut dans ton coeur de conclure : « Toulon, ma ville, sera toujours Toulon ». José, ami Lenzini auteur camusard parmi les plus fameux, la plongée que tu nous offres m’a transporté dans le monde onirique du silence, de la découverte, de la nature humble et infinie. Moi qui ne suis pas à l’aise dans l’eau, je me suis laissé entraîner par les abysses dans le sillage des trois Mousquemers, Jacques-Yves Cousteau - le commandant - , Frédéric Dumas – l’autochtone – et Philippe Tailliez – auteur du joli mot-valise -. Ingénieurs - ingénieux -, chercheurs - trouveurs -, explorateurs, archéologues, ethnologues, naturalistes, ce sont surtout de fameux marins et mieux que ça, sous la plume de José, de grands amoureux de la mer. Cousteau finira par se la jouer un peu solo à bord de la Calypso, mais leur trio demeurera dans l’histoire comme celui qui aura fait avancer la prospection sous-marine comme jamais avec, notamment, leur fameux scaphandre autonome. Et un musée qui en fait foi à Sanary, mais aussi à Espalion, au pied de l’Aubrac ! J’ai moins aimé l'autre plongée dans laquelle tu nous entraînes, le Toulon glauque de Maurice Arreckx. Il m’a rappelé mes premières années toulonnaises où je n’arrivais à être à l’aise nulle part. Remarque, si je vivais à Saint-Jean-du-Var, l’un des pires quartiers de cette époque, je travaillais à Hyères où l’air n’était guère plus respirable, saturé de poudre, de corruption, de violence. Mais quelle évocation édifiante du système mafieux qui servit en quelque sorte de gouvernance et de permanence à l’effondrement de Toulon, jusqu’à l’abîme que nous retrace pour finir Marc Bayle. C’est le même coordonnateur de ces portraits qui nous aide en remontant au tout début du XXe siècle, à saisir la genèse du malaise politique toulonnais à travers le portrait de celui qui en fut le maire durant presque un demi-siècle et par intermittence. Escartefigue, pour les estrangers, c’est principalement et pour beaucoup uniquement, ce personnage haut en couleur, bedonnant, un rien cocu mais vraiment caricatural du vieux port de Marseille et de son transbordeur. L’histoire ne dit pas, me semble-t-il, si la trilogie de Pagnol a été inspirée par l’ancien maire de Toulon, d’autant que son prénom était Marius. Mais ce qui apparaît à la lecture de la petite biographie, c’est que l’escartefiguisme s‘apparenta maintes fois à la pantalonnade. Jeune ingénieur issu d’un milieu modeste, il milite dans les rangs anarchistes, en est même un fervent activiste. Puis comme tant d’autres, après la première internationale, file plus doux dans les rangs de la SFIO. Et après Tours se ramollit encore, plus par opportunisme que par ses convictions que l’on pressent de moins en moins affûtées. Jusqu’au point d'aller voter les pleins pouvoirs à Pétain, ce qui là n’est plus de la mollesse mais de la trahison à ces idées de jeunesse. Bref il navigua en eaux troubles, installa une tradition vivace à Toulon, d'affairisme et de clientélisme. Enfanta l’hydre dont on connaît quelques têtes, d’Arreckx au Front National et je n’en citerai pas d’autres - malgré l’envie -, n’étant pas autorisé à détourner le contenu de cet excellent ouvrage. Patrick, ami Lorenzini, poète étincelant dans l’ombre, il m’étonnerait fort que je me retrouve seul à noctambuler suavement sous les étoiles de Saint-Germain-sur-mer. Le Toulon des lumières, celui des années 30, folles de promesses puis de désespoir. Léon Vérane, je le sais puisque tu as recueilli ses poèmes et sublimé sa mémoire, c’est le tien. Et avec lui, qui a rempli autant de pages de vers que ce qu’il en a vidé, nous cheminons, dérivons, titubons dans le Toulon bohême, Toulon canaille, un peu crapule, comme un long poème trouvant ses rimes les plus lestes accoudé au comptoir du Coq Hardi et des bars de la "basse". Plus loin on s’attable chez Bernanos et on admire Aragon devisant au couchant. On vibre de toutes nos cordes aux virtuosités de Django Reinhardt aux terrasses de la rue d’Alger, on se laisse croquer par les huiles inspirées de Baboulène et Tamari et l’on aimerait que ce passé simple et talentueux nous enveloppe à l’infini. Patrick n’oublie pas, enfin, d’ôter son chapeau bien bas devant Jean Rambaud à qui il doit sans doute un peu de ce qu’il est, même s’il n’incarne pas spécialement aux yeux de ceux qui le connaissent, la raille de Besagne. Mais le connaît-on ? J’ai laissé de côté – à regret - le camarade Andréani ; mais sans regret aucun – ceux qui l’ignorent découvriront pourquoi - Jean Reimbold ; de même que le moment Front National - pour les mêmes raisons - ; l’abbé Buisson que Toulon respecte sous le sobriquet de Nasaule aurait en revanche mérité que j’ajoute deux mots, au même titre que l’amiral Lambert et l’ingénieur Monsenergue, racontés par André Fourés grâce auxquels nous assistons à la renaissance de Toulon et aux intenses activités marines. Mais je ne finirai en aucun cas, sans évoquer les belles pages consacrées à Raimu par Cyriaque Bayle. Elles aiguisent d'ailleurs l’appétit en entrant dans cette galerie. Jules Muraire, fils d’une humble famille de tapissier – clin d’oeil à Molières - qui entra dans la carrière sous les huées des Folies toulonnaises pour finir au Panthéon de la Comédie française. Raimu était de Toulon et non de Marseille comme beaucoup l’imaginent peut-être encore. Il tenait à ce que ça se sache « car notre accent est beaucoup plus distingué ! » Et si vous ne savez rien de ce monumental bonhomme, vous aimerez entamer cette exploration de l’âme Toulonnaise par les pudeurs et les sautes d’humeur de Môssieur Raimu qui a, en quelque sorte, obtenu le premier César du cinéma français. Et je ne puis conclure cette note de lecture un peu longuette mais assez guillerette aussi, sans une confidence et une vraie : si je sais pourquoi j’ai quitté Toulon "me levant la raison" sans l’ombre d’un regret, je sais aussi pourquoi c’est l’endroit sur terre où je garde le plus d’amis et de jolis souvenirs. |
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