Mauvaise nouvelle, je viens encore de perdre un abonné ! Non pas consécutivement à l'une de mes dernières chroniques polémiques - je pense qu'il s'en foutait - ; pas non plus en relation avec la neige que je sublime sur l’Aubrac ! Non, rien qui s’apparente à une fâcherie. Le lecteur que j’ai perdu, je l’ai perdu d'un coup. Sans rémission. Il est mort ! Aujourd’hui, pour vous accompagner, j’avais travaillé une partie de la journée sur deux films promus par Jean-Claude au Revest : « Bigger than US » de Flore Vasseur et par Martine à Fos : « Nous n’avons pas peur des ruines » de Yannis Youlountas. Deux longs métrages rebelles comme il en faut, enfin je sais pas vous, mais moi oui, il m’en faut ! Dans le second nommé il y a une formule rhétorique - une chiasme je crois - qui s’affiche et que j’adore : « Ce n’est pas parce qu’il y a des rebelles que le monde va mal, c’est parce que le monde va mal qu’il y a des rebelles. » Tout est là. Mon copain du dimanche matin l’était aussi, rebelle. A sa manière. Il souffrait le martyre, au-delà de l’entendement, la médecine n’en faisait pas assez cas, alors : pan ! Il a réglé la question. Je sais que vous le sentez, c’est même dingue comme vous sentez tout, il y a de la colère dans ces phrases. Oui, oui je sais, ça va hein ! Y en a qui pensent : " Ah bon ! Parce que ça lui arrive de ne pas être en colère ? " Bien oui, le matin quand je marche et que je n’ai face à moi que la nature, je suis apaisé, tranquille. Y a juste quand j’en croise certains et dans certaines situations, qu’effectivement, je peux me mettre en boule et je préférerai toujours être ainsi que d’accepter n’importe quoi, les bras et le cerveau ballants, en disant « Que voulez-vous, c’est comme ça ! » Non ce n’est pas comme ça. Christine, son épouse, m’a envoyé ce mail très court : « Francis s’est donné la mort hier. » Cela faisait à peine sept ans que nous nous connaissions et quinze jours que l'on s'était quittés. Nous partagions un café, lui quelques charcuteries et même des tripoux avec Bernard, Daniel et Jean-François à la Route d'Argent, car il était debout depuis cinq heures. Tous les dimanches matins, dans la douceur des beaux étés de montagne, il ne déballait pas pour rien avec son épouse, car le marché prenait de la consistance et les touristes savaient les trouver là, avec leurs abricots et nectarines gonflés et gorgés du soleil de Méditerranée. Tous les dimanches matins aussi de novembre, sous la pluie battante, dans le vent furrieux, pour quatre clients, Manou et ses 90 ans, Nicolas le garagiste, Michel le buronnier, Jean-Claude le facteur et je n’en oublie pas tant que ça… Même en plein hiver lorsque la Margeride et l’Aubrac étaient saturés de neige par une bonne dizaine de degrés en dessus de zéro, le couple Loubat prenait la route chaotique à bord du petit camion chargé de pommes, d’oranges, de poires, mais pas de scoubidous. Si, un peu de fromage aussi et des oeufs, du coin évidemment. C’est qu’il y avait une trotte entre La Garde - là-bas après le Malzieu - et Nasbinals. Parfois, ils devaient en être de leur poche. Mais l’argent n’était pas leur raison. Jamais ils n’auraient envisagé de manquer un seul marché face au Foirail, même pas en rigolant ! Rigoler, il aimait ça Francis. Et c’est même ce qui le caractérise à mon souvenir tout frais. Ce rire permanent sur un visage creusé de souffrance. Voici des années qu’une curieuse maladie, probablement de type orpheline, tant on sent la faculté impuissante à la soulager, le minait de l’intérieur au point de le laisser sans espoir, ni envie de vivre. Un nerf à vif au niveau du sacrum, c’est-à-dire là où tout mouvement, sans même parler de la position assise, se transforme en calvaire. Ainsi n’était-il bien que debout et encore, il fallait le dire vite. N’en pouvait plus. Mais non sans raison. Car avant d’y renoncer, il s’était bien accroché à la vie et à l’avis des scientifiques. Un professeur qui devait être une "pointure" l’avait fait monter à Paris. A grands frais pour d’humbles gens. Et lui proposer une opération. C’était bien gentil, sauf qu’elle s’annonçait ultra-dangereuse ; la guérison longue et pas garantie du tout. Merci quand même de l’avoir averti ! Mais enfin, entre dépassement d’honoraires, manque d’écoute, voire de bienveillance, rendez-vous remis, puis en visio-conférences, piètres suivi et prise en charge de la douleur, personne dans son entourage n’a eu l’impression que la médecine s’était surpassée. Il lui aurait fallu outre un soutien médicamenteux efficace, une assistance psychologique vigilante pour ne pas dire permanente. Mais sans doute Francis n’était pas un personnage suffisamment digne d’intérêt. Nous même, aurions-nous sûrement dû établir un cordon amical et salutaire… C’est ce qu'on se dit toujours après ! Alors, décision sans doute fatale, le marchand des quatre saisons mit fin à cette activité passionnelle mais cruelle, qui le martyrisait de jour en jour. Fini les lundis de torture à descendre vers Montpellier pour faire le plein de fruits et légumes pour la semaine. Fini les installations d’étalages, quasi quotidiennes par tous les temps et les humeurs changeantes. Il fit valoir ses droits à la retraite, tandis que Christine trouverait quelques boulots temporaires pour mieux subsister en attendant de pouvoir, elle aussi, se reposer et entamer une autre vie, sous d’autres auspices… Lorsque nous nous sommes salués, il y a quinze jours, je lui avais pris le bras en l’adjurant, au fond des yeux, de ne pas déconner. Lui assurais qu’il y aurait plein de belles choses à faire et à vivre, parole de retraité heureux. Puis enfin quelques bêtises que j'entretenais rien que pour lui et qu’il savourait. Toujours le même rire sur un visage de souffrance. Nous l’avons laissé partir, non sans affection, mais en toute impuissance… Salut Francis, tu peux enfin dormir à ta guise. Tu en avais tant besoin ! |
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