On sait que ce joli XXIe siècle peut encore nous réserver bien des surprises. Et des bonnes, naturellement ! On ne devrait plus tarder à ramasser les premières oranges dans les Ardennes, participer à un barbecue géant en janvier et en tee-shirt sur le Puy de Gudette et partir en week-end sur la lune avec Elon Musk ou tout au moins à bord de la tesla volante, pour y faire sa provision de lithium. La liste de choses invraisemblables pour nos parents se rallonge de jour en jour, elle est intarissable. On a même vu Mme Le pen défiler avec les juifs, vous allez voir que Zemmour est foutu de manifester en faveur d’un État palestinien ! Voir même pour la défense des droits de l’homme. Et avec le Pape en tête de la Gay pride de Rome, on sera complet…
Mais alors assister, en octobre 2023, à la naissance d’un journal, même hebdomadaire, cela relève à la fois du plus grand inattendu, de la pure folie et d’un total anachronisme. Ah ! on m’aurait dit, ils relancent un machin en ligne, à la fois pour se venger du JDD et faire la nique aux gauchistes de Médiapart, là en effet pourquoi pas. Mais un vrai journal, avec un vrai papier, de la vraie encre et des vrais gens pour le fabriquer, là j’avoue je me pince… et ça fait mal !
Je dis ça fait mal, je vous dirais pourquoi après. Parce qu’en réalité j’aurais dû écrire que cela faisait au contraire le plus grand bien. Un journal, vous vous rendez compte ? Un objet que l’on prend dans une pile, que l’on paye au guichet, que l’on emporte sous le bras avec la baguette dedans et que l’on décortique soigneusement sur un banc public (hé ben oui, toujours chez moi cette obsession du commun !) ou dans son fauteuil (en vérité, c’est quand même chez soi qu’on est le mieux, pas de risque qu’un gamin viennent vous brailler dessus ou qu’un con s’assoit à côté, pour vous parler du Hamas, de l‘Ukraine ou des punaises, une sorte de BFM ambulant, le type !). Je vous raconte un peu ma vie aujourd’hui, comme si elle était plus attrayante que la vôtre ! J’ai grandi avec la presse. Les résultats complets dans le Midi Olympique le lundi et dans l'équipe les chroniques de Blondin pendant le Tour et de Montaignac au fil des jours... Et je vous jure que lorsque je me concentre bien, je retrouve sans peine la sensation olfactive des halls surchauffés, où ces journaux tournent, s’assemblent et défilent sur cette sorte de grand huit tonitruant que l’on nomme rotative. Mariage suave de l'encre, du papier, de la sueur des ouvriers du livre. Putain ça y est ! A cause de vous, j’ai les frissons. Du petit Tarn-Ouest qui sortait d’une imprimerie des Clauzades à Lavaur au 100 000 exemplaires de Var Matin, les mêmes sons, les mêmes émotions lorsqu’à deux heures du matin, après un dernier café pour ne pas m’affaler de sommeil, j’en piquais un encore tout humide de la file vrombissante, en prenant bien soin de ne pas la désaxer.
Mon plus extraordinaire souvenir est celui de la sortie du premier Toulouse Matin, un beau quotidien créé par une grande équipe de pros (je n’étais moi, qu’un tout jeune journaliste à l’indice 92 !) Nous avions travaillé un gros mois en amont de sa sortie (en octobre 1982) et de le voir descendre des rotos, un peu comme tombé du ciel, c’était bien-là un cadeau divin. Trois mois ! Ça a duré trois mois ! Toulouse Matin se vendait mieux que la Dépêche qu’il venait sortir de son ronron monopolistique. Alors tu comprends bien que ce gros veau de Baylet s’est fait un plaisir de détruire son concurrent avec les moyens les plus abjects et minables qui soient… à son image. Je ne m’en suis jamais remis, mon cher Christian, car mon premier poste de rugby m’offrit le privilège rare de côtoyer à 24 ans, des figures qui vous marque à tout point de vue. De Fouroux à Villepreux, en passant par Oualtère, Gégé Martinez et compagnie, même si je n’en oubliais sûrement pas mes Laporte, Gasc, Revailler et Durand…
Téléporté en six mois et grâce au plein emploi de la presse écrite des années quatre-vingts dans le Var, je me suis encore nourri de sublimes rencontres : André Herrero et Véran, Eric Champ et Melville… je pourrais en citer des dizaines… en oublier aussi des centaines, certes ! Le papier, je l'ai dans la peau et à jamais. Preuve de ma résilience à moi, puisque dès la première décennie 2000, alors que je n’avais pas tout écrit – on n’a jamais fini d’écrire lorsqu’il s’agit de rugby – il m’a fallu me rendre à l’évidence : l’indépendance dans la presse régressait. Je m’en suis exfiltré, filant vers d’autres aventures. Elles valaient bien une déchirure.
Mais comme il fallait écrire ce que les actionnaires (éventuellement les présidents de clubs) et les lecteurs voulaient lire, la presse est devenue aseptisée, les journalistes un peu caractériels ont cédé leur carte à des petits laquais sans opinion, mais non sans succion (excusez !) Le seul truc qui me console, c’est que ceux qui ont pris nos places sont beaucoup moins payés et... le méritent bien !
Alors donc, je me suis dit : « Tiens un nouveau journal papier, à l’heure où plus un exemplaire ne se vend, sous cette forme en tout cas ! Voilà qui est bien étrange. » Certes se sont les anciens sbires de Lagardère et Sarko réunis, qui ont créé la Tribune du dimanche avec le torve Bruno Jeudy à la baguette, pour contrer Le JDD qui après avoir roulé bien à droite, s’est mis à marcher avec l'immense Bolloré, sur la bande d’arrêt d’urgence avec un quartel de fachos directement sortis des entrailles fétides de Valeurs actuelles.
Mais le fin mot de l’histoire, c’est que ce n’est pas tant un naissance qu’une "Renaissance". Car cet hebdomadaire est financé par un certain Rodolphe Saadé un franco-libannais – ce qui n’est pas un problème en soi - milliardaire - ah ! - et surtout, ami personnel de Saint-Emmnanuel-les-mains-jointes – nous y sommes ! -. C'est-à-dire que la Macronie, qui règne sur la France avec une emprise sans précèdant sur le petit peuple, trouvait dommage d’avoir perdu son journal de propagande du dimanche. Les 6 jours de la semaine avec 20 minutes, le Figaro, le Parisien-Aujourd’hui et la quasi totalité des régionaux et des hebdos, plus toutes les télés, c’était bien, mais là le dimanche, avec la Tribune ce serait encore mieux…
Tiens ! Va-t-en voir pourquoi ce matin ma mémoire olfactive est en berne. En pensant au journal, il me vient plutôt une odeur de merde ! |
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