Ne pensez pas que je cherche à me valoriser, pas même à me distinguer, lorsque je soutiens que je suis né trop tard dans un monde furieux. Pas question de se faire Musset en somme ! Mieux vaut même, ne pas s’y essayer. Mais ce que je veux dire, c’est que j’aurais aimé de préférence, vivre et mourir au temps de nos parents, mais plus sûrement celui de nos grands-parents. Parce que déjà, ceux qui ont vu des types se poser sur la lune ont tout de même pu, de bon droit, se demander si l’humanité ne marchait pas un peu sur la tête - certes en apesanteur ça fait moins mal ! -. D’ailleurs de vous à moi, cinquante ans plus tard personne n’a été foutu d’expliquer clairement la mission Apollo. Juste de la claironner. C’est si vrai que les Chinois et les Indiens ont eux aussi prévu de s’y poser, pour tenter de trouver une réponse : mais qu’est ce que les Amerloques ont bien pu trouver là-haut ? Pour nos grands-parents, le progrès, c’était du concret. Ils ont pu mettre leur garde-manger qui commençait à cocoter dans un réfrigérateur et regarder des images sur un téléviseur plutôt que sur un transistor. Attention, je ne dis pas que c’est bien, car il semblerait que ce soit l’écran qui soit à l'origine de la fin future de notre civilisation. C’est à ce moment-là que Tino Rossi et Jean-Jacques Goldman ont triomphé de Mozart et Paganini, qu’au lieu de faire du sport on s’est mis à le regarder, qu’au lieu de réfléchir, les chaînes d’info nous ont dit ce qu’il fallait penser... Quant à l’invasion des écrans, des téléphones qui ont annexé le cerveau de nos contemporains et contaminé celui de nos enfants, ils ont fini par éradiquer la lecture, les grands classiques, dont Musset. Seul Musso subsiste en version numérique… Je ne parlerai surtout pas de l’inversion des valeurs qui, avec l’aimable et insistante collaboration des Américains, a transformé ce pilier philosophique de l’humanité : « profiter de la vie » en quelque chose comme « vivre pour profiter ». Si vous lisez ça rapidement cela va vous paraître du pareil au même, sachez tout de même que cela à tout fait basculer dans un grand n’importe quoi consumériste mais également mortifère. Je suis né trop tard, mais heureusement aussi suffisamment tôt pour espérer ne pas crever demain de chaud et de soif, mais je sens bien que cela va passer ric-rac. Mais on commence enfin - il leur en aura fallu du temps aux gouvernants ! - à se dire qu’il est plus que l’heure de mettre la pédale douce et, sans que cela soit trop perceptible, d’enclencher la marche arrière. Pour moi, le symbole de ce rétropédalage, c’était la trottinette. Ben oui quoi ! Dans les années cinquante, pour Noël on recevait une trottinette. Bon d’accord elle était pas électrique et c’était surtout dans les familles aisées, chez les autres il fallait se contenter d’un petit train en bois ou d’une poupée en caoutchouc. Mais voilà qu’avec la couche d’ozone, le CO2 et tout ça, les grands enfants de la bourgeoisie eurent l’inspiration - sans doute un peu soufflée par quelques fabricants, communicants et investisseurs -, de la remettre au goût du jour. C’est que les bo-bos et les cadres-sup, trouvaient ça très tendance d’aller bosser en glissant dans les rues à travers les obstacles, y compris des gens, passant ainsi devant tout le monde. Oui, parce que passer devant tout le monde, c’est un peu aussi l'objectif de ces équilibristes infantilisés, tous inscrits sur touiter et linkedin… En un rien de temps, ils ont distancé les vélos qui, eux même revenus un temps à la monde, retombèrent dans l’obscurité de la ringardise. Faut suivre, pour surnager dans cette société, je vous jure ! Alors moi qui déteste le progrès lorsqu’il n’est plus destiné à améliorer la vie des gens mais à placer toujours une petite catégorie au-dessus, je ne me privais pas pour m’en moquer. Faut dire que le type avec son costard trois pièces, ses souliers vernis n’avait pas l’air de la moitié d’un con avec son casque rond sur le sommet du crâne et la cravate dressée en arrière comme si elle avait du mal à le suivre. Quant aux femmes, dans leurs tailleurs et leur brushing… passons ! Seulement voilà, cette caste de surhommes toujours pressés commençait à écraser un peu trop souvent. Au sens propre ! Emportés par leur élan conquérant - faut dire que la cocaïne n’est pas toujours bonne conseillère au guidon – ils provoquèrent une impressionnante série de cartons. Jouant aux quilles -surtout avec les vieux- ils s’amusaient à faire des strikes sur les trottoirs. Car ils évitaient de se balader sur les routes elles-mêmes : trop dangereuses ! Je me souviens m’être retrouvé, par loin de la porte d’Italie, figé sur place ne sachant plus quel pas faire, tant les trottes-monsieur déferlaient de tout part comme autant de missiles sol-air. Sur l’Aubrac, il y eut même la tentative d’en faire un business de plein air. Après trois appels des pompiers, les grosses trottinettes ont laissé place nette. Quel dommage ! La mode fut si subite et hystérique qu’elle passa très vite. Dans Paris désormais, les points de locations sont au mieux abîmés et souvent désarmés, il ne sera bientôt question que d’aller à pied, car les vélos contrariés ont aussi disparu. Mais ne soyons pas inquiet, on refourguera aux piétons des bâtons - excellents pour le dos ou autre chose -, des rollers électriques ou des patins supersoniques. La connerie les fera toujours avancer et progresser. Voilà, j’en termine avec cette chronique légère - quoi que ! - en vous narrant ce que j’avais trouvé de marrant dans cette histoire. Figurez-vous que le gouvernement d’Elisabeth Borne - que j’aurais bien vu se balader sur deux petites roulettes – envisage de porter l’âge légal de conduite des trottinettes à… 14 ans ! C’est à peu près l’âge auquel nous arrêtions d’y monter naguère, de peur d’être ridicule... |
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