Tous les mites s'effondrent. La planète brûle. La presse satirique se saborde. Depuis quand exactement, le Canard Enchaîné est-il devenu, sous le couvert de son impertinence et d’une sacro-sainte indépendance, valant à ses yeux certificat de virginité et sur laquelle il en fait des tonnes, depuis quand le Canard est-il devenu le support (si ce ne n‘est le suppôt) de la droite macronienne ? Moi j’ai ma petite idée et je vous propose de la développer.
C’est donc durant les années Hollande que le vilain petit Canard, redouté de la droite sarkoziste et du clan Le Pen - car redoutable à leur égard - s’est subitement et de manière stupéfiante adouci, pour ne pas dire moutonisé. Jusqu’à ces derniers mois où, à cause de son ancien journaliste - devenu lanceur d’alerte – Christophe Nobili, il s’est transformé en Canard boiteux de la presse, le plus extraordinaire des sujets satiriques dont ce seraient pourléchés les anciens de cette ancienne noble gazette.
Si j’ai arrêté de lire le Canard, il y aura bientôt quatre ans, ce n’est pas parce qu’il est passé d’un euro à 1 € 50 en un rien de temps, mais bien pire hélas, parce que je m’y retrouvais plus. Le style a évidemment changé et l’habituel ton acerbe à l’égard des puissants, des va-t-en-guerre, des tricheurs, des cathos et des gros bourgeois est devenu bien plus nuancé, policé, quasiment cauteleux.
C’est étrange, mais depuis le Pénélope Gate et la chute retentissante de Fillon, on n’a plus fait que des clapots dans la mare au Canard. Et qui a profité de cet acharnement sur le candidat Les Républicains – dont je me suis évidemment délecté comme mes copains de gauche ! - pour être élu ? Macron ! Sans l’affaire des emplois fictif de sa femme, Fillon aurait été - on le sait tous - élu haut-la-main à l’Élysée.
Et alors voyez-vous, depuis la chute de la maison Fillon plus une seule affaire concernant la Macronie n’a émergé de la même mare. Et pourtant y avait du lourd à envoyer. De Benalla au Mali, en passant par les violences policières sur les Gilet jaunes, Koeler, McKInsey et tout un chapelet de casseroles de la start-up-néchion, on n’a pas entendu le moindre coin-coin. Tandis que Médiapart, l’Obs, Le Monde et même la cellule investigations de Radio France faisait le job, le palmipède barbotait l’information.
Sur ces feuilles devenues insipides on s’est complu à jouer les indiscrets, à reporter quelques querelles de salon plus ou moins croustillantes en s’appuyant sur un considérable réseau d’indics de toute obédience. Pas de quoi se casser trois pattes… Un si bon boulot que les Massé, Fressoz, Angéli et autres journalistes historiques qui forgèrent l’incorruptibilité et la fiabilité du journal satirique, doivent en permanence se retourner dans leur tombe. Et ce, alors même qu’ils ont bien mérité le droit de reposer en paix, le devoir accompli. Tu parles ! Eux c'est carrément De Gaulle qu'ils ont taquiné, Giscard et Chaban qu'ils ont fait tombé et le tout sans compromission et dans la bonne humeur !
Le devoir, l'intégrité, la déontologie semble devenu autant de conceptsgazeux dans les locaux du 173 rue Saint-Honoré. Car le plus ironique (et glauque aussi, même si comme au Canard on aime rire de tout) c’est que ce que dénonce Christophe Nobili, le journaliste – lanceur d’alerte, c’est que le journal a commis les mêmes forfaits avec l’un des siens, que ce qu’il dénonçait chez les Fillon. Je vous la fait courte car c’est de la tricherie classique : pendant des années, le Canard Enchaîné à versé des sommes conséquentes à l’épouse d’un journaliste qui pratiquait le travail éreintant de dessinateur de cabochons (petits croquis pour illustrer les hauts de page et les échos…) Avec qui partageait-il les gains de cet emploi fictif ? Le saura-t-on jamais ?
Mais non seulement ces gens pratiquent chez eux ce qu’ils dénonçaient naguère chez les autres, mais pire que tout, ils se comportent de manière odieuse avec l’un de leurs meilleurs éléments, dont le seul tort est d’avoir agi, enquêté, écrit dans l’esprit originel du Canard. Ce n’est pas encore Rivarol, mais il en prend l’inquiétant chemin.
Et c’est dans Télérama - qui traite de l’affaire - que j’ai trouvé, me semble-t-il, cette maxime qui correspond impeccablement à la situation : « Quand un singe veut monter au cocotier, il doit avoir les fesses propres ! »
Ça marche aussi pour les canards...
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