J’avais ce matin, au téléphone, André Valadier. Pour ceux qui l’ignoreraient, c’est le Monsieur Aubrac, celui sans lequel nos montagnes seraient sans doute en vrac, nos vaches désincarnées et peut-être décornées et notre aligot travesti en raclette ou en tartiflette. Et il me disait toute l’émotion qu’il éprouvait à retrouver notre plateau d’altitude sous de si beaux atours. Nous ne partageons sûrement pas tous les points de vue sur la société et l’ordre mondial, mais enfin, me disait-il : « Si nous ne pouvons hélas interagir sur ce qui se commet à une échelle qui nous dépasse, il faut que dans nos petits territoires, chacun à notre manière, ayons des comportements exemplaires... » Il me semble que l’Aubrac en se préservant d’un tourisme de masse - qui n’assouvit que les appétits hélas toujours aiguisés des profiteurs – et d’un afflux de population qui ne flatte que les comptables, pourrait ainsi donner l’exemple.
L’Aubrac, comme la savane Africaine, la Cordillère des Andes et les coraux du Pacifique, il faut savoir en rêver, l’admirer à travers les reportages accumulés depuis un siècle et surtout, surtout lui foutre la paix. J’enrage, lorsque j’aperçois dans notre ciel commun des zébrures incongrus d’avions inquisiteurs, comme lorsque apparaissent sur nos sentiers, des quads malotrus, des colonnes de motos sur nos petites routes, ou de vieilles porsche pilotées par un gratin de têtes de nœud.
Nous étions donc émerveillés par l’apparition immaculée d’un hiver comme avant. Des arbres statufiés dans leur uniforme d'albâtre, des rondeurs avantageuses scintillant sous les pâles reflets d’un soleil inhibé, les vagues poudreuses filant au vent comme un vol de moineaux effarouchés et ces congères qu’elles viennent former anguleuses et rangées harmonieusement aux recoins de drailles et d’ourlets de basalte encapuchonnés. C’est pour de tels décors, de si belles émotions, des silences partagés dans le vaste horizon nacré, que j’ai choisi l’Aubrac.
"Ma" montagne, celle dont quelques fois les gens s’étonnent ou se gaussent. Ce ne sont pas ces sommets abrupts où les importants viennent se pendre, prenant des airs supérieurs, au bout d’une perche ou d’une cabine, pour quelques sensations artificielles et inconséquentes. La profondeur et la splendeur de la nôtre, celle que chantait Ferrat, se partagent entre les humbles et les contemplateurs et c’est pour cela que nous sommes si peu nombreux. Étant entendu que ceux qui sont en capacité d’admirer dans le silence et de respirer sans pomper l’air du voisin sont, ici, les bienvenus.
Pour finir et avant de vous laisser avec ces quelques clichés auxquels je vous ai familiarisés le dimanche, je voudrais, devant vous, saluer mon amie Danielle. Je le lui dois d’abord parce qu’en quelque six ans de rencontres aubraciennes et de correspondances, je n’ai que rarement croisé une personne aussi profondément attachée à cette haute terre, que la dame de Nevers. Elle y venait depuis des décennies avec son compagnon, puis seule avec sa nostalgie et toujours en compagnie des Bastide - notamment Véro et Daniel, dont l’un des enfants – Hugues – se trouve être le capitaine des rugbymen nivernais- . Pur fait du hasard, car au rugby, elle ne comprend rien ! C’est pour elle que j’ai mis dans la série ci-dessous, l’hôtel de la Randonnée, là où elle rassemble tant de souvenirs avec vue sur les jonquilles (chambre 26 ou quelque chose comme ça). La santé défaillante malgré sa meilleure volonté, elle n’est plus très sûre d’y revenir et c’est effectivement un bien triste constat que celui-là. Mais elle continuera à vivre à travers ses émotions : l’Aubrac est en elle et finalement aussi, un peu à elle. J'ajoute que si je l'ai un peu mise en avant aussi, c'est parce qu'elle est depuis le départ - Pile-chèvre et Macronique - l'inconditionnelle... dont j'avais besoin !
La neige est mon élément et si j’ai déserté mon cher Graulhet - pourtant si fidèle à ma jeunesse et à mes idées – c’est pour vivre de tels moments d’intensité. Il paraît qu’un vortex hivernal se profile. Si nous pouvions garder ce décor jusqu’en juin... Et pardonnez moi, si avec ces cinquante centimètres au bas mot et les dix degrés au-dessous de zéro, je me suis laissé aller à un peu de lyrisme larmoyant.
Demain on reprend le combat...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire