vendredi 16 décembre 2022

 

Samedi 17 décembre 2022




Contrairement à la vengeance, 
l’aligot est un plat qui se mange chaud !  

Autant je n’aime guère me déplacer, autant recevoir est un plaisir sans cesse renouvelé. Ca revient plus cher, mais nous avons de gros moyens (juste au-dessus du seuil de pauvreté) ! Au point même, qu’il me semble que partager de pareils moments autour d’une table bien mise et odorante à souhait, figure parmi les plus doux de l’existence. Surtout lorsqu’avec l’âge, les musiques hurlantes, les soirées arrosées et les ébats automobiles, deviennent plus compliqués, voire inaccessibles.

Mais lorsque je parle de partage, je pense essentiellement à une poule au pot, un rôti de veau aux girolles, un bar au fenouil, un aligot, suivis d’un laguiole dix-huit mois et d’une crêpe Suzette. Ce ne sont alors que regards, sensations, émotions parfois et même compliments. Un verre (ou trois) de Pommard ou d’un bon Minervois, un whisky peut-être ou un vieil Armagnac. Car pour la conversation, il convient de rester bien plus sobre. Et circonspect. J’y vois deux justifications impérieuses.

La première, c’est que lorsqu’on est servi, il est bien rare qu’un plat se savoure froid. Cela me semble à ce point primordial que, lorsque je tenais mon restaurant, il m’arrivait de sortir de ma cuisine pour engueuler des clients qui bavassaient à la place de manger. J’avais une formule dont j’étais plutôt content puisque je ne l’empruntais à personne : «  Contrairement à la vengeance, l’aligot est un plat qui se mange chaud ! » Tous ne saisissaient pas la profondeur du propos, mais au moins, se remettaient-ils à bouffer. Et puis, je ne connais rien de plus exécrable que le fait de parler la bouche plaine.

La seconde, me semble de nature bien plus préoccupante, si tant est que l’on prenne à la légère la bonne température d’un sauté de veau. En tout cas, pour ce qui me concerne, il n’y a rien de plus terrible que, dans ce moment d’intense communion des sens, ne vienne s’interposer une conversation polémique.  Ou de considération politique. Généralement, je préviens mes hôtes. Hors de question de saboter un dîner - même sans chandelle – sous le seul prétexte de faire avancer ses idées, voire même de les imposer. Cela est arrivé à quasiment tout le monde – à moins d’avoir la chance d’être sans idée –. Au départ, on discute gentiment, puis on devient un peu plus affirmatif, avant de tomber dans la véhémence, qui n’est que l’antichambre de la démence.

Ceux qui m’accompagnent dans ma chronique ont pu le constater : des idées j’en ai à revendre. Je ne me caricaturerai pas en confessant que «  j’ai des idées sur tout et surtout des idées... » comme le badinait notre camarade Coluche, mais il est un fait, que ça pullule. Des idées qui sont plus souvent des indignations et des insoumissions. Pas le genre de truc commode à caser, entre le fromage et la poire dans nos maisons bourgeoises. Dans mon cas, cela se complique même par le fait que je ne suis pas toujours d’accord avec moi !

Or donc, lorsque j’invite et dîne, je préviens généralement qu’il y a assez de sujets de conversation ( le football et les tenues sexy de Brigitte Macron - non, je déconne ! -)  pour ne pas aller se mettre l’estomac à l’envers et les intestins en sac de nœuds, par des propos péremptoires, partiaux, voire martiaux ! Nous sommes certes des gaulois réfractaires, mais avons perdu l’usage de ces bagarres de fins de banquets, fin saouls. Mais l’autre soir, patatras ! J’ai bien senti le terrain glisser, tenté mollement d’y résister… La volonté de mes convives était telle que j’ai fini par m'y laisser entraîner.

Il y eut d’abord l’Ukraine et le héros Zelensky. Mon interlocuteur et ami, me paraissant infaillible en géopolitique, j’ai préféré lâcher l’affaire avant que de se voir contraint - de part et d’autre - de sortir les armes chimiques, voire nucléaires.

Cela ne suffisant pas, tandis que le pot-au-feu était épuisé, nous en sommes arrivés à la situation intérieure. « On est quand même pas les plus malheureux ! » me dit-il et si cela n’avait pas été un ami, un bon mec - enfin j’espère ! -, je lui aurais demandé à quand remontait son agrégation de philosophie ? Ou de sciences sociales ! Parce comme phrase bateau, toute faite, bidon, on n'a pas fait mieux. Ni plus faux. Dans un pays où l’on compte 10 millions de personnes sous le seuil de pauvreté - fixé autour de 1100 euros - mais quasiment autant qui ne vivent pas avec plus de 1500 (qui est aussi le revenu médian), je ne pense pas que l’on puisse décréter que nous sommes tous heureux en notre belle France. Mais alors si vous objectez le contraire, gardez-vous bien de rétorquer que, peut-être lui, n’est pas malheureux et qu’il fait même partie des privilégiés. Et qu’il serait bon qu’il regarde un peu autour et surtout en dessous. Il pourrait bien en effet, le prendre comme une mise en cause personnelle, une agression verbale.

Après avoir contesté les chiffres, pourtant connus de tous, il te renvoie la balle : « Oui mais alors, qu’est ce que tu proposes, pour que cela aille mieux et où trouverais-tu l’argent ? ». Tu tentes le coup classique de la meilleure répartition des richesses, de la terre qui appartient à tout le monde, d’expliquer que le mérite et les diplômes ne peuvent être l’alpha et l’oméga de l’existence, de rappeler que celui qui gagne 10 000 et celui qui n’en reçoit que 1000, se lèvent pareillement le matin ; lorsqu’ils mangent n'ont qu’une bouche et lorsqu’ils vont au cabinet n’ont qu’un… Rien ne va les convaincre ! L’impérieuse nécessité de lutter contre l’évasion fiscale, d’intensifier la collecte d’impôts auprès de ceux qui gagnent trop, de s’en remettre au collectif pour gérer mieux et surtout plus juste... Lorsque le voisin de table semble dans les cordes, il se redresse pourtant et t’assène un violent coup au foie : « Ce que tu veux en somme, c’est la Russie de Staline... »

Voilà, il est l’heure de se rendre et de tenter l’absorption salvatrice d’une tisane. N’empêche que tu as la bouche sèche, les  mains qui tremblent et les jambes qui flageolent. Tout ça pour avoir disputé un bout de gras que personne ne lâchera jamais, en se taxant mutuellement de mauvaise foi... On se quitte en s’embrassant, mais on n’en pense pas moins.

Vous le saurez, lorsque vous venez à la maison, apprenez plutôt quelques bonnes blagues, y compris  salaces – même Marie les aime, enfin disons qu’elle en a l’habitude ! - Il y en a un de ma famille, comme ça, qui venait souvent et me faisait mourir de rire… 
Jusqu’au jour où nous avons parlé politique !              

 

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