Dimanche 25 décembre 2022
La manie de Noël |
Je fais partie de ces enfants des Trente glorieuses – ma mère appartenait plutôt au rang des laborieuses – qui n’ont quasiment manqué de rien. Ce n’était pas encore l’opulence – nos parents sortaient de douloureuses années de privation - et nous n’avions surtout pas chaviré dans la démence consumériste libérale. Je ne dis pas qu’il n’y avait pas quelques riches rentiers, de gros héritiers et entrepreneurs qui roulaient carrosse -et Mercedes-. Mais peu ou prou, dans la société de classes, il existait un équilibre, j’allais ajouter, un juste équilibre. Les humbles mangeaient tout de même à leur faim, les intermédiaires plutôt aisés, ne se privaient de rien et les supérieurs eux, malgré tout, n’en abusaient pas. Si bien que nous vivions en bonne harmonie. Chez le poissonnier, se côtoyaient les trois catégories : les unes se contentant de sardines, les autres de cabillaud et la « haute », de sole. Et c’était donc la même chose à Noël. Dans la journée des préparatifs, on déguisait avec la pâte d’amande les succulents « mendiants », préparait de belles corbeilles de fruits, certains d’entre-nous partions sur la place du village, en quête du vieil homme en rouge repérant les lieux à bord de son traîneau, quelques marrons rôtis et un chocolat chaud. J’ai connu ça encore cette année, non sans une certaine émotion, à Nasbinals… Le sapin était moins haut chez les ouvriers, parfois il se déplumait avant même que le petit Jésus ait rejoint la crèche, certains brillaient de guirlandes électriques et d’étoiles fluorescentes, tandis que d’autres n’accueillaient pour tout décor que quelques boules ternies. Dans les souliers, au petit matin, un joli cadeau, deux et parfois trois, lorsque les grands-parents s’y rajoutaient. Souvent un Père Noël généreux laissait aussi sa silhouette en chocolat. A midi, toute la famille -lorsqu’elle était unie, bien plus hélas qu’aujourd’hui – partageait les huîtres ou la langouste, le foie gras ou les ris de veau, la dinde ou le rôti de biche, assortis de quelques champignons et de la bûche fatale. Le champagne à droite, le mousseux à gauche et on repartait tous au travail, avec les mêmes maux de tête car, ce qui fait le plus mal dans cette affaire, ce sont les bulles. Depuis les années quatre-vingt, après le choc pétrolier, la société s’est progressivement fractionnée. Par un fameux coup de magie, les capitalistes et leurs serviteurs à la tête d’un État corrompu ou à tout le moins perverti par l’argent, ont désarmé les syndicats, démantelé les services publics et fait de la compétitivité, de la loi du marché, l’alfa et l’oméga de la transformation sociale. Les libéraux ont inventé un mot magique qui veut tout dire et surtout son contraire : la réforme. Et en réformant, pour aller très vite et dans les grandes lignes, on a engraissé les riches, devenus richissimes et l’on a fragilisé, marginalisé et misérabilisé les pauvres. Le chômage fit des ravages, mais on constate aujourd’hui que même avec un retour à l’emploi, les gens sont de plus en plus en difficulté, car contraints d’accepter des boulots difficiles sans le salaire qui va avec. Ces métiers de la santé, du social, de l’entretien et de la propreté, de l’aide à la personne, tout ce qui touche en fait à l’humain, est méprisé. Et l’on ne parle pas de la fameuse uberisation chère à Macron, où les gens s'installent à leur compte et gagnent des clopinettes. Et pendant ce temps, on fait des câlins à M’Papé et aux multi-milliardaires génocidaires du Qatar. Voici comment la magie a muté en une sale manie de Noël. Où le ne prête même plus attention à Jésus dans sa crèche -et c'est un athée qui vous le signale !- C'est pourtant lui, si je ne m'égare, qui est pourtant à l’origine de cette belle histoire, totalement détournée de ses origines et son sens biblique. Où les plus riches au cœur des villes ripaillent et gaspillent, commandent dix fois à Amazon, gâtent et pourrissent leurs gosses sans jamais les éveiller à la conscience basique. Celle qui voudrait que l’on pense à ceux qui n’ont rien. Partout dans un monde en famine, mais également dans une frange non négligeable de notre pauvre France. Tous ces éclairages, ces étalages, ces gaspillages, sont à la fois indignes, anachroniques et je dirais même, provocants. Car, qu’est ce qui les autorise à penser que la société pourra longtemps subsister et tenir debout, en reposant sur de tels déséquilibres ? Mes enfants, qui ont plein de gamins qu’ils couvrent de jouets – beaucoup, vraiment beaucoup trop, d’objets connectés et d’habits de marque, m’ont surnommé le Grinch. Vous connaissez ? Il s’agit d’un personnage de dessin animé vivant dans un monde merveilleux où la population ne pense qu’à faire la fête et se surpasse lorsque Noël arrive. Un seul désapprouve et combat cette gabegie, cette hystérie collective, c’est lui, ce petit homme vert et laid : le Grinch. Il pourrait être finalement un héros, certes un brin perturbateur et moralisateur, mais aux pensées aussi pure que ces intentions. Mais non ! Dans l’esprit de tous, c’est un vieux grincheux insupportable qui n’aime personne. Il m’a fallu un certain temps pour accepter cette assimilation un tantinet désobligeante. Désormais, je l’accepte et la revendiquerais presque, tant elle me paraît incarner le bon combat contre une société de consommation lancée inconsidérément vers sa perte. Noël qui évoque en moi de si beaux souvenirs, les traits plein de rides et de tendresse de mes grand-mères, les belles veillées et les parfums ambiants de résine et de bougies, s’est perdu depuis trop longtemps à mon sens, dans ces relents malodorants d’argent, de business et d’inconscience. Et puis non, Noël n’est pas si magique. Il laisse trop de monde en chemin. Les affamés, les enfermés, les marginalisés, les abandonnés. Ceux qui n’ont pas d’enfant ou les ont égarés, ceux qui ont perdu leurs conjoints, ceux qui n’en ont jamais eu. La magie de Noël est une pure vue de l’esprit. D’une caste privilégiée, bouffie d’orgueil et vide de sentiments humains. Et Dieu dans tout ça ? |
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