06.- GEORGES ET PUIS LE PETIT GAUVAIN - J'avais pensé - et d'ailleurs écrit - consacrer une deuxième chronique à l'un de mes fidèles compagnons d'existence et de bien-être, cet ami inconnu et pourtant si familier, Georges Brassens. Pour tout ce qu'il véhicule de gentillesse, de retenue, d'humanité, il me semblait qu'une deuxième évocation n'était pas superflue. Après sa naissance le 22 octobre, il y a eu cent ans, j'envisageais donc de griffonner, en souvenir des quarante ans de sa disparition le 29 octobre, une aubade au poète enchanteur.
Lorsqu'on a été aussi profondément marqué que je le fus par un homme, devenant subitement immortel, impalpable, iconique, essentiel, le souvenir de l'annonce de sa mort devient aussi indélébile que celui de son premier baiser, de son premier bébé. .. Il n'y a pas si longtemps un con, enfin je pense qu'ils étaient plusieurs, mais je n'en ai entendu qu'un et encore traînait-il incongrûment sur France Culture, proclamait : " Tout le monde se souvient de ce qu'il faisait le jour où l'homme posa le pied sur la lune. " C'est tout de même fou de vouloir à tout prix que l'humanité se prosterne devant cette conquête de l'espace qui contribue pourtant singulièrement à la détérioration de l'espèce ! J'étais certes encore un peu jeune en 1969 - quoi que ! - mais sinon, je pense bien que je m 'en serais étiré le jonc...
En revanche, le 29 octobre 1981, je peux vous dire qu'en attente d'un contrat professionnel dans la presse écrite, je travaillais derrière une presse hydraulique à couper des morceaux de cuir dans une belle peau de vache déguisée en fleur, qui fait la belle et qui vous attache... C'est aussi l'une des rares fois où j'ai vraiment pleuré et je n'en ressens aucun remord. J'ai peu dîné, puis dans la fraîcheur de mon atelier à Graulhet, je suis revenu travailler afin de passer une soirée tranquille sur France Inter avec Brassens dont je n'avais heureusement pas percé toutes les subtilités. Pierre Desproges, qui était au spectacle comique ce que Georges Brassens était au music-hall, s'amusait : " Lorsque Brassens est mort je n'ai pas pu manger, mais quand Tino Rossi est mort j'ai repris deux fois des moules..."
Y avait moyen de rigoler quoi...
J'envisageais de me plonger et de vous y entraîner, dans ces textes gigantesques dont tant de gens par paresse, par bêtise ou par rejet, n'ont pas su ou pu prendre la mesure et ignorent l'essentiel, c'est-à-dire le miel. Il me semble avoir entendu l'autre jour cette juste considération : Brassens est dans la pure lignée d'Ésope et La Fontaine. Car oui pour être fabuleux il n'en était pas moins fabuliste.
Mais c'est tout quoi ! Que peut-on ajouter de suffisamment pertinent, original et révélateur à ce qui parle de lui-même et résonne avec la même force que les trompettes de la renommée. Ce que l'on sait aussi, mais que l'on ne souligne pas assez, c'est que si Brassens a tué tout espoir de filiation et même de succession, il donna cours néanmoins à une belle lignée de chanteurs poètes, Le Forestier et Renaud évidemment mais aussi un gamin comme Gauvain Sers. Qui ça ? Gauvain Sers ! Un petit de la Creuse. Ah ! bien sûr, c'est gentillet, ça n'a pas la même allure. Pas de moustache frissonnante, ni de pipe gourmande. Pas de gouaille dans la voix, de roulement de R ni de sourire coquin et en coin... D'ailleurs, maintenant que j'y pense, je vois pas ce qui pourrait les rassembler, leur ressembler. A moins que ce ne soit plus aérien et subtil, quelques notes à attraper, quelques rimes à confronter, quelques idées à colporter :
" Pourvu qu'elle soit aussi de celles
Qui pensent à remplir leur cervelle
Qu'elle penche plutôt vers Modiano
Qu'elle penche pas trop vers Morano "
Et dans Les oubliés
" À vouloir regrouper les cantons d'à côté en 30 élèves par salle
Cette même philosophie qui transforme le pays en un centre commercial
Ça leur a pas suffit qu'on ait plus d'épicerie
Que les médecins se fassent la malle
Y'a plus personne en ville, y'a que les banques qui brillent dans la rue principale "
Puis il y a La France des gens qui passent
" Quand les uns sont au garde à vous, les autres meurent pour des idées
Une vieille dame est à genoux, tout près d'une machine à billets
Y a pas besoin de nicotine pour tousser un peu du moral
Y a pas besoin d'être en médecine pour y voir une fracture sociale "
Et enfin Au pays des lumières
" Y a des gens pour brandir
Encore cette phrase immonde
On n'peut pas accueillir
Toute la misère du monde… "
En tout cas, lorsque j'écoute Gauvain, cela me fait patienter en attendant Brassens. Et depuis que les médias nous en invente, c'est à peu près le seul "artiste" qui m'ait donné l'envie de l'écouter...
Georges Brassens est mort il y a quarante ans. Nous sommes, ceux qui ont eu besoin de lui pour siffloter sur les chemins de la vie pas tellement sifflotante, toujours en deuil. Comme s'il était mort hier soir. Le seul truc qui peut à la rigueur nous mettre en joie, c'est que demain il sera épargné du discours de Saint-Emmanuel-les mains-jointes aux Invalides, avec Brigitte en robe Balmain au premier rang...
Au pays des lumières Gauvain Sers : https://youtu.be/s9vbuvaIWoc
Les oubliés - Gauvain Sers : https://youtu.be/CIfV6TQIhcc
Vous avez été quelques-uns à m'écrire votre satisfaction à la lecture de Macronique Brassens. J'ai aussi reçu une horreur, à laquelle je ne donnerai pas suite.
Merci à vous.
"Je vais te raconter une histoire que j'ai vécue dans mon enfance. Dans la petite ville où je vivais dans les Pyrénées, il y avait un café au bord de la nationale où nous allions souvent: baby-foot, flipper…
Et Georges Brassens avait l'habitude de passer au volant de sa DS car il allait en cure à Capvern à cause de ses calculs rénaux qui le faisaient souffrir. Or, ne voilà-t-il pas qu'un jour, en fin de matinée, il culbute le chien du patron du bistrot avec sa voiture. Bien sur, il ne s'enfuit pas et va voir le propriétaire du chien.
Le chien est vite emmené chez le vétérinaire local mais en pure perte: le chien décéda. Brassens était, paraît-il très gêné, mais le patron l'ayant reconnu lui dit que ce n'était pas grave, qu'il en retrouverait un autre ! Mais la meilleure, c'est qu'après, chaque fois que Brassens passait pour aller en cure, il s'arrêtait et allait voir le patron du café... En plus, en juillet dernier, j'étais dans les Pyrénées et en avait profité pour aller voir la maman d'un vieil ami d'enfance et il se trouvait qu'il y avait des membres de la famille du vétérinaire en question et qui m'ont aussi raconté l'histoire.
Voilà, c'était Brassens ! "
Francis B. de la Réunion
" Mais oui, Jacques, Georges Brassens est indéracinable. Je l'ai vu un jour il y a bien longtemps, de la traction avant de mon père, bourrant sa pipe sur un trottoir de Sète. Je l'ai revu et écouté dans une petite salle à Marseille, arrivant en traînant sa guitare puis posant un pied sur une chaise pour chanter. Avec un sourire en coin inimitable aux moments drôles ou olé-olé d'une chanson... Et j'ai acheté ses disques, année après année . Il n'y a pas que Fernande à laquelle il pense. Il a su rendre la hâte et le p athétique de "la pauvre vieille de somme..." de Bonhomme, en utilisant le vers impair comme préconisait Verlaine. Non, comme tu le dis, la culture n'est pas incompatible avec l'amour de Brassens ! "
Claude R. de Marseille
" Merci pour cette belle chronique... Brassens, je l’ai vu et écouté de près à Paris dans je ne sais plus quel cabaret-théâtre des grands boulevards. J’ai le poche de ses chansons. A Sète, la maison Brassens est superbement faite au cimetière non-marin, le cimetière des pauvres, ça ne fait pas pauvre du tout. D’excellents documentaires ont été réalisés sur lui. j’ai reçu, il y a peu un abécédaire Brassens, réalisé à Sète par des artistes et écrivains sétois.
Mon ami Moni Grego et Yves Ferry ont rendu hommage à Brassens sur une péniche avec Denis Lavant... Bref, Grosse qui est conchien est aussi brassien, barbaresque, ferrien, brelien, trenetien, ferratien (j’ai rencontré Ferrat en Ardèche, passé une soirée avec lui)…"
Jean-Claude G. du Revest
"Je m’attendais à ce que tu évoques les 100 ans de Brassens, toujours vivant dans nos mémoires et dans nos cœurs. Il fait partie des "immortels". Ça fait du bien !...
Je serai brève en te joignant trois chansons - que tu dois connaître bien sûr - que j’aime beaucoup (je les aime toutes..) pour les messages qu’elles délivrent. À écouter sans modération !..."
Danielle P. de Nevers
"Stances à un cambrioleur" https://m.youtube.com/watch?v=KoS2U4atBYw
"Les oiseaux de passage" https://m.youtube.com/watch?v=Hzw_w01Ld-0
"La Princesse Et Le Croque-Notes" https://m.youtube.com/watch?v=YOEE6HRjyeo
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