22.- GEORGES, JE ME FENDS LA PIPE ! - Et pourtant j'en ai aimé des chanteurs, des poètes, des interprètes ! Aucune épithète - fabuleux, magique, providentiel même - ne serait à leur mesure. Ni à la mesure de mon admiration et plus encore de ma gratitude.
La plupart des enfants, lorsqu'ils ont l'opportunité, le bonheur de se cultiver, le font à partir de leurs études et de leurs lectures. J'avoue que c'est en absorbant les textes de mes géants du microsillon, les dévorant, les décortiquant, les mastiquant, les ruminant, les ingérant, que je me suis fait mon petit nid culturel et mon immense bonheur.
Mes sources, vous l'imaginez bien, ne posaient pas dans Salut les Copains, elles ne jaillissaient pas, accompagnées de musiques obscènes et de paroles ineptes, des bouches de branleurs mal coiffés en patte d'éléphant, en carton pâte, de Londres, Liverpool ou San Francisco... J'en frémis à l'idée que Johnny ou Mick Jagger eussent pu être mes idoles !
Mais de tous ceux à qui vous avez sûrement pensé - Barbara, Brel, Ferrat, Ferré, Reggiani - c'est tout de même Brassens qui émerge. Il n'y a pas eu une chanson, c'est-à-dire un texte, une mélodie, une manière unique de l'interpréter, qui ne m'ait pas mis en joie.
Un jour, un jeune collègue avec lequel je fis un court bout de chemin me suggéra : "Quelqu'un qui aime vraiment Brassens, ne pas être foncièrement mauvais !" J'avais médité cela en le trouvant très juste. Il s'avéra pourtant que l'auteur de cette proposition était un fieffé con ! De la dernière averse évidemment, mais je crains bien qu'il le soit devenu, des neiges d'antan.
Qu'importe ne pas aimer Brassens me semble suspect. Impossible. Quoi que ! Le panurgisme étant devenu un "art de vivre", les braves gens qui n'aiment pas que, l'on suive une autre route qu'eux... n'en seraient pas forcément adeptes. Ce vieil anarchiste - je le traite de vieux alors qu'il s'est barré dès ses 60 piges, soit trois de moins que moi qui suis bien et bon vivant ! - rigolerait, me badinerait et peut-être aussi me rudoierait, s'il découvrait dans mon bureau, ces trois cartes postales achetées à Sète il y a vingt ans, épinglées à côté de moi.
Sur la première, il caresse son chat sur le ventre et il est écrit :
Selon lui,
Mettre en plein soleil,
Son cœur ou son cul, c'est pareil.
Sur la seconde, il tient sa pipe d'une main fine et ferme :
Au temps où les faux culs sont la majorité,
Gloire à celui qui dit toute la vérité !
Quant à la troisième où il serre fort sa guitare sur fond d'azur :
Gloire à qui n'ayant pas d'idéal sacro-saint,
Se borne à ne pas trop emmerder ses voisins.
J'éprouve une grande considération pour tous ceux qui ont côtoyé Platon, Héraclite et pourquoi pas Descartes, Kant et Nietzsche. J'en connais de près, Grosse et Savidan, je mesure la somme de travail, la mobilisation neuronale, l'investissement cérébral que cela comporte et même si j'admets que les deux ne sont pas incompatibles, je ne les envie pas.
Je ne sais pas si tout est dans tout, mais il y en a assez dans Brassens. Au moins pour enchanter une petite vie. La mienne. Car chaque fois que m'apparaissait une nouvelle pépite dans le ciel de Sète, il s'agissait d'une fête bien plus proche des bacchanales que des douces nuits de baloche et de barbe à papa sur la place du village.
Ce n'est donc pas la moindre des ironies que celui qui n'eut jamais ni Dieu, ni maître ( ça c'est aussi Ferré mais en plus tourmenté ) puisse compter désormais tellement de fidèles. A la différence près que l'on vénère Georges pour le bonheur qu'il a lancé au vent par poignées de notes et de rimes et non pour ce qu'il aurait été censé faire de miracles et d'oracles. Il eut le talent d'exister - lui au moins, on en est sûr ! - et de tout donner entre douceur et malice, sans rien demander.
Et quand je pense aux mouvements féministes, nationalistes, à la woke et à la cancel culture, tous ceux qui auraient prétendu faire taire Brassens, je me fends la pipe.
Enfin voilà ! il y a un siècle aujourd'hui, Brassens naissait. Il y aura quarante ans de malheur dans une semaine, il mourait. J'ai préféré l'anniversaire de sa naissance. D'autant qu'en aucun cas il n'est mort. Mais je reviendrai peut-être vous en raconter d'autres. Elle est tellement joyeuse, sa compagnie !
Dessin de Dadou, piqué sur le site de Midi Libre
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