Rugby blues
Domi... entre douleur et colère
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Ce n'est pas la plus belle photo de Christophe Dominici. Mais c'est le seule de mes archives sous le maillot de Toulon... |
Il est 16 h 30. Je suis dans mon jardin. Loin de tout et surtout du rugby. Depuis hier, j'ai bouclé mon bouquin, un récit, un essai, un pamphlet sur le rugby. Non, pas "le" mais "mon" rugby. J'avais averti mon éditeur qu'il allait le recevoir sans tarder. Ce fut long et compliqué, mais ça y était, je tournais la dernière page de ce qui me rattachais à ce jeu : en livrant ce que j'avais sur le cœur. Sans calcul, sans excès, sans rancune... ni concession.
Dans mon jardin, je plante deux cerisiers. Bien peu de chance qu'à 1200 mètres d'altitude, ils produisent autant que sous le chaleureux climat d'un jardin de Sainte-Christine à Solliès-Pont.
Marie, mon épouse, sort malgré le vent glacial et me lance d'une voix neutre : " Dominici est mort ". Je ne réalise pas de suite. Je redonne un coup de pioche. Puis, levant la tête je lui demande ! " Mais quel Dominici ? " "Christophe Dominici. Il se serait suicidé ". Je titube, sonné. Deux secondes. Et je pars alors dans une colère irrépressible. De celles qui ne se maîtrisent pas. J'ai tout cassé autour de moi. Heureusement il n'y avait que de la terre et une pioche trop solide. Heureusement, il n'y avait personne !
Ce bouquin est déjà un cri de désespoir. De colère. Froide et raisonnée. Je l'ai appelé "Rugby flouze". Je ne suis pas un homme d'argent et je n'ai jamais compris ceux qui trichaient, volaient, tuaient pour de l'argent. Pas plus les hommes d'affaires que les voyous. Car oui, je n'invente rien, c'est le flouze, uniquement le flouze et ceux qui en sont maladivement dépendants, qui l'ont anéanti. Enfin mon rugby à moi, parce que eux, ils sont persuadés d'avoir fait de grandes choses avec le leur !
Au fil des pages il m'était revenu quelques anecdotes avec Domi. Je l'avais un peu rudoyé lorsqu'il avait quitté Toulon en 1997 avec son pote Franck Comba. J'ignorais qu'il était déjà en affaires dans cette galaxie qui m'était totalement étrangère et l'est restée. Il fut Champion de France avec son Stade Français, celui de ses amis Guazzini et Laporte aussi. L'année d'après il crevait l'écran en même temps que la paillasse de Jonah Lomu et en deux exploits hors norme contribuait largement à vaincre les All Blacks et expédier le XV de France à Cardiff jouer (et perdre) la finale de cette quatrième Coupe du monde en novembre 1999.
Au fil des pages il m'était revenu quelques anecdotes avec Domi. Je l'avais un peu rudoyé lorsqu'il avait quitté Toulon en 1997 avec son pote Franck Comba. J'ignorais qu'il était déjà en affaires dans cette galaxie qui m'était totalement étrangère et l'est restée. Il fut Champion de France avec son Stade Français, celui de ses amis Guazzini et Laporte aussi. L'année d'après il crevait l'écran en même temps que la paillasse de Jonah Lomu et en deux exploits hors norme contribuait largement à vaincre les All Blacks et expédier le XV de France à Cardiff jouer (et perdre) la finale de cette quatrième Coupe du monde en novembre 1999.
Lorsqu'il est revenu chez lui à Solliès-Pont, au café de l'Univers où l'attendait son ami-associé Zé Accossano, il fut célébré par une foule subjuguée, n'ayant d'yeux que pour son "Christ" ce personnage au gabarit plutôt inférieur à la moyenne mais qui avait terrassé un monstre aussi bien physique que médiatique, icône de son temps. Cet exploit je ne l'avais pas entièrement gobé. Parce que je ne le jugeais pas naturel. Plus tard, les langues se déliant, j'en apprendrai un peu plus de manière concrète. Non pas sur Domi en particulier, mais sur le système. Je n'ai rien écrit - et n'écrirai rien - par fidélité à l'affection qui nous liait, mais aussi pour ne point trahir mes sources - restons prudents ! -
L'ayant vu débuter à Toulon en 1994, il ne m'avait pas fallu longtemps pour piger le chemin que l'ancien footballeur bagarreur de Solliés allait accomplir dans ce sport qu'il avait commencé à pratiquer au stade Jean-Murat avec ses amis Cottin, Grassaud, Robert et compagnie. Petite boule de nerf, transformée en bombe à fragmentation, il explosait sur tous les terrains de France et pas plus Ballatore, que Jorda ou le Saint-Esprit n'auraient pu le retenir. C'était le Stade Français dont il devint presque aussitôt le leader charismatique, un Dieu du Stade et puis l'équipe de France. Parti de son aile pour voler tout là-haut...
Derrière cette trajectoire fulgurante un drame personnel, d'une violence inouïe, reste tapi. La mort accidentelle de sa sœur aînée de dix ans, sa frangine, son modèle, son amour. Maintes fois, auprès de ce en qui il avait confiance, il avouera être incapable de se débarrasser de cette souffrance. Et c'est elle, sa sœur qui lui inocula cette volonté, cette force intérieure, le conduisant, peut-être jusqu'à tous les excès. Jusque-là, ce rugby convivial, profondément humain le tire d'un mauvais pas et semble l'avoir réconcilié avec la vie. Lorsque son ami Petit-Ber Fargette fut abattu en 2000, il accusa le coup et sombra dans une dépression dont on mesure mieux aujourd'hui la violence. Un arrêt aussi brutal dans sa carrière, qu'elle avait pu être fulgurante. Cette adolescence bafouée par l'injustice de la disparition de Pascale, sa seconde maman, remonta à la surface et tout contribua à fragiliser cet homme qui avait fait trembler Lomu.
J'avais croisé Domi deux ou trois fois. Son sourire, bouche légèrement en travers, l’œil malicieux m'avait laissé espérer que tout allait bien. Grosses voitures, belles maisons, des billes un peu partout, la vie facile...
Je m'étais bien demandé cet été, alors que le modèle économique du rugby apparaissait aux yeux de beaucoup comme une aberration, ce qu'il avait encore été faire dans cette galère biterroise. Il amenait à l'ASB, le grand club des années 70, des investisseurs des Emirats et lui proposait de carburer aux pétro-dollars. Il s'agissait rien moins que de refaire le coup du Stade Français en 1998 et de Toulon en 2005 ! En moi même, je m'étais dit " Merde, Domi tu fais chier...". Mais quoi ? Il était dans une logique diamétralement opposée à la mienne. Pour lui, le rugby était entré dans l'ère du business extrême et il fallait foncer. Comme sur le terrain et dans les soirées festives ... On échappe pas à son destin !
Bien entendu - alors que je repense à mon petit graulhétois Geoffrey Abadie, passé par le Stade Français et suicidé en 2015 -, je ne sais qu'est-ce qui aura poussé au final ce cher Christophe à se jeter par-dessus la vie. D'autant l'on ne parle encore que de chute et non formellement de suicide... Mais ce dont je suis persuadé, c'est que ce rugby ne rend plus les gens heureux. Il les gonfle d'orgueil, de gloire, d'argent et de beaucoup trop d'illusions... perdues ! Jamais du vrai bonheur.
Et ce n 'est sûrement pas ce rugby-là qui va consoler Nicole et Jeannot ses chers et malheureux maman et papa. Quelle persistance dans l'horreur, quelle souffrance, quel dégoût !
Y a pas, y a plus de mot !
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