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Nasbinals, son église du XIe magnifique trésor de pierre (granite, basalte et lauze) et, en arrière plan, l'hôtel de la Route d'Argent (maison Bastide) véritable institution en Aubrac |


C'est un duo de flics blancs qui passent les menottes à un type. Ce dernier est noir, cela semble suffisant pour l'interpeller. Ils argumentent l'arrestation par le fait qu'il ressemble à un délinquant recherché. Lorsqu'ils découvrent la plaque du FBI dont fait partie l'interpellé, les policiers s'excusent bien sûr mais c'est bien tard. L'agent du bureau fédéral d'investigation - d'origine soudanaise - exige les cartes des deux policiers inquisiteurs et de leur chef pour un signalement...
Gaël
Giraud : "
La
reconstruction
écologique
nous ouvre un monde de la surabondance
"
Je
ne comprends quasiment rien à l'économie. Cela ne me passionne pas,
mais elle demeure incontournable. J'ai trouvé cela sur Médiapart.
J'ai presque tout compris. Et comme c'est un économiste
-
prêtre jésuite qui y répond, je l'ai pris pour paroles d'évangile.
Si
vous avez le temps....
1
JUIN 2020 PAR AMÉLIE
POINSSOT
Pour Mediapart, l’économiste Gaël Giraud décrit, exemples à l'appui, le monde sans pétrole de demain : fret maritime écologique, densification des centres urbains, réhabilitation du ferroviaire… À la condition d’avoir un État stratège, qui revienne dans le capital de certaines entreprises.Renverser la perspective en termes d’emplois : voilà à quoi nous invite l’économiste Gaël Giraud pour penser le monde de demain. La reconstruction écologique qu’il appelle de ses vœux n’est pas incompatible avec l’urgence sociale dans laquelle nous a plongés la crise du coronavirus. Tout au contraire : elle sera créatrice d’emplois, à la différence du monde d’hier, fondé sur un chômage structurel et du sous-emploi. Pour y parvenir, d’importantes mesures sont nécessaires. Entrée du capital de l’État dans les entreprises, désendettement du secteur privé, effacement des dettes publiques… Le défi est grand mais pas impossible pour ce prêtre jésuite, directeur de recherches au CNRS et également président de l’Institut Rousseau.
Le coronavirus a provoqué une crise économique et sociale sans précédent en France comme en Europe… Est-ce que les plans de relance sans conditions annoncés notamment pour l’automobile et l’aérien sont la bonne réponse ?
Gaël Giraud : Évidemment non. On est en train de reproduire la même erreur qu’en 2008, c’est-à-dire qu’on utilise l’État comme compagnie d’assurance en dernier ressort : on laisse une partie du secteur privé faire les mêmes bêtises sans régulation, et quand cela nous conduit dans le mur, on demande à l’État de socialiser les pertes. C’est le contraire qu’il faut faire : il faut responsabiliser le secteur privé qui a organisé le commerce international par des chaînes d’approvisionnement à flux tendu, sans stock – ce qui nous met dans une vulnérabilité effarante. L’État doit rentrer dans le capital d’entreprises et intervenir sur leur « business model » pour le ré-ordonner à l’intérêt général.
Cela ne signifie ni recapitalisation sans conditions – comme ce à quoi l’on assiste en ce moment –, ni nationalisation, où c’est de nouveau le contribuable qui paye tout. Il y a une stratégie intermédiaire qui demande un État stratège, industrialiste. La difficulté, c’est que notre administration publique a perdu une grande partie de la culture industrielle qui était encore la sienne dans les années 1980.
C’est l’occasion de s’y remettre. Il faut que l’État incite, sinon contraigne les entreprises à orienter leur « business model » vers la reconstruction écologique. Je préfère parler de reconstruction que de transition en ce domaine, car je suis assez convaincu par les arguments de Christophe Bonneuil et de Jean-Baptiste Fressoz (voir leur livre L’Événement anthropocène. La Terre, l’Histoire et nous, publié au Seuil en 2013 – ndlr), qui rappellent que le vocabulaire de la « transition » véhicule un imaginaire lisse, tranquille, comme si cela allait se faire sans accroc et sans conflit social. Ce n’est pas vrai.
Sous-jacents au lexique de la « reconstruction », il y a le constat qu’il y a déjà énormément de casse et l’idée que nous devons être volontaristes. Sans un État volontaire et stratège, nous n’y arriverons pas.
Entrée de l’État dans le capital de certaines entreprises : dans de précédentes interviews, vous avez pris l’exemple de Renault. Avez-vous d’autres entreprises en tête ?
Je
pense à la quasi-totalité des entreprises qui demandent aujourd’hui
l’aide de l’État, Air France compris. Je pense aussi à CMA CGM,
qui est la première entreprise française et la 3e au
monde en transport par conteneurs. Ce fleuron se trouve en train
d’être démantelé et racheté par les Chinois, car il est au bord
de la faillite. On pourrait activer le décret Montebourg, qui permet
d’interdire les prises de participation étrangères dans les
entreprises stratégiques. Et l’on pourrait aider CMA CGM à
se réorienter vers un autre type de fret maritime sur lequel il faut
faire de la recherche et du développement de manière massive :
un transport propulsé à l’hydrogène vert et à l'ammoniac.
La
technique consiste à mettre des panneaux solaires sur le bateau pour
faire l’hydrolyse de l’eau de mer. Vous séparez ensuite les
atomes d’hydrogène des atomes d’oxygène, et avec cet hydrogène,
vous faites fonctionner le bateau. Il existe déjà un
prototype, Energy
Observer,
piloté par Victorien Erussard. J’espère pouvoir traverser
l’Atlantique dessus ! Bien sûr, pour un porte-conteneurs
de plusieurs milliers de tonnes, il faut compléter cette technologie
avec de l'ammoniac. C'est une solution bien plus propre que le gaz
naturel liquéfié et beaucoup plus facile à déployer que
l'hydrogène seul.
Il
faut comprendre que les porte-conteneurs au pétrole, c’est fini.
Avec CMA CGM, on pourrait créer le leader mondial d’un
porte-conteneurs à hydrogène. Ce serait une option industrielle
intelligente, prospective, tournée vers l’avenir et la
reconstruction écologique. C’est cela qu’il faut faire, plutôt
que d’utiliser l’argent du contribuable pour ressusciter le monde
d’hier ou de vendre nos bijoux aux Chinois. Notre souveraineté
nationale passe par là.
Comment pourrait-on financer tout cela ?
Certainement
pas par des hausses d’impôt du côté des classes moyennes et des
classes populaires. L’Institut Rousseau s’apprête d’ailleurs à
publier une note en faveur d’une refonte complète du système
fiscal français afin que l’on puisse choisir démocratiquement qui
paye, et combien, tout en permettant à tous les Français de
calculer immédiatement combien cela rapporterait à l’État, quel
serait le niveau d’inégalité des revenus après impôts, etc.
C’est ce que nous appelons l’impôt ABC.
L’important,
c’est d’arrêter d’utiliser la dette publique comme alibi pour
faire de l’austérité budgétaire. La dette publique n’est pas
le mal absolu. Le problème macro-économique contemporain se situe
plutôt du côté de la dette privée, beaucoup plus importante, et
qui empêche aujourd’hui le secteur privé d’investir.
Avec
toutes les limites méthodologiques inhérentes à cet indicateur
(qui superpose un flux, le PIB, à un stock, la dette), la dette
publique française était à 99 % du PIB avant la pandémie,
tandis que l’endettement du privé s’élevait à 130 %. Les
deux vont augmenter d’au moins 15 % avec la déflation induite
par le confinement généralisé.
Si
l’on pense qu’il faut se désendetter, il faut donc commencer par
le privé. Le problème est connu depuis les années 1930, grâce
notamment à l’économiste américain Irving Fisher. Dans une
situation où tout le monde a beaucoup trop de dettes, si tout le
monde tente simultanément de se désendetter…, personne n’y
arrive. C’est le paradoxe du baron de Münchhausen, qui tente de
s’extraire des sables mouvants en se tirant lui-même par les
cheveux : si tout le monde, pour se désendetter, vend ses
actifs, leur prix a tendance à baisser ; vous réduisez peu
votre dette nominale et, en revanche, votre dette réelle augmente à
cause de la déflation des prix d’actifs.
C’est
exactement la raison pour laquelle le plan d’ajustement structurel
infligé à la Grèce entre 2010 et 2015 n’a servi strictement à
rien, comme je
l’avais anticipé :
le PIB s’est effondré aussi vite que la dette publique (− 25 %
en 5 ans) et le ratio dette publique/PIB est resté stable à…
180 %. Pendant ce temps, il est vrai, tous les aéroports ont
été privatisés pour une bouchée de pain, une île, un bout du
port du Pirée, etc. Peut-être était-ce le seul objectif,
d’ailleurs, de l’endettement initial de la Grèce et de la
sévérité du plan d’austérité qui lui a été imposé en pure
perte. Privatiser le monde entier…
L’alternative,
en situation de déflation comme celle que nous connaissons
aujourd’hui, c’est qu’au moins l’un des acteurs économiques
consente à continuer de dépenser intelligemment – et donc de
s’endetter pour la bonne cause – pendant que les autres se
désendettent.
Le
seul qui peut le faire sans mourir, c’est l’État. Pendant ce
temps, le privé se désendette puis, quand ce dernier pourra
investir à nouveau, l’activité reprendra et alors seulement
l’État pourra se désendetter à son tour dans des conditions
saines, notamment grâce à la reprise des recettes fiscales. Ma
position est donc simple : la Commission européenne, le FMI et
Bercy se trompent dans l’agenda. Au lieu d’autoriser l’État à
continuer de dépenser pour maintenir l’activité économique
pendant que le privé se désendette, ils exigent que l’on commence
par le désendettement de l’État. Résultat : les prix
continuent de stagner ou de baisser, la dette de tout le monde
augmente et aucune porte de sortie ne s’ouvre depuis plus de dix
ans.
Annulation pure et simple de la dette publique
Pour que l’alternative puisse fonctionner – celle d’un État stratège qui consente à s’endetter pour financer la reconstruction écologique –, l’État doit se reconstruire une culture industrielle. On l’a vu avec le cafouillage tragique sur les tests et les masques, qui traduit à mon sens le fiasco total de la décentralisation en France depuis 30 ans.
À propos de la dette publique, faut-il l’effacer, créer des dettes perpétuelles, contracter de nouveaux prêts… ?
Je
suis très favorable à l’annulation pure et simple de la dette
publique détenue par la Banque centrale européenne (BCE). L’Italie,
bientôt au-delà de 160 % du PIB sous forme de dette publique,
s’engage sur une trajectoire à la grecque. Certains se frottent
déjà les mains : on va pouvoir privatiser Saint-Pierre-de Rome
et le Colisée (tout comme j’avais entendu des traders évoquer
la privatisation du Parthénon en 2010) !
La
vérité, c’est que la Grèce pesait 3 % du PIB de la zone
euro en 2010, alors que l’Italie est la troisième économie de la
zone. Si les spreads italiens explosent sur les marchés
financiers, le secteur bancaire italien, déjà sinistré, ne
résistera pas au naufrage. BNP-Paribas et LCL, deux banques
françaises très exposées aux banques italiennes, essuieront des
pertes colossales. Et l’Italie quittera la zone euro avant de se
voir imposer ce qu’on a fait subir aux Grecs. Autrement dit, le
dépeçage de l’économie italienne auquel certains se préparent
déjà signifiera le démantèlement de la zone euro et la chute
d’une partie du secteur bancaire européen. Ceux qui croient
vraiment au projet européen doivent donc tout faire pour éviter
cela.
Venons-en
à l’annonce par Macron et Merkel du plan franco-allemand de 500
milliards d’euros, qui serait financé pour la première fois par
la dette publique communautaire : c’est une petite victoire
qui montre qu’Angela Merkel, comme souvent, cède à l’évidence
au dernier moment. Toutefois, c’est très insuffisant, car 500
milliards sur trois ans divisés par 27, cela fait moins de 1 %
de PIB par pays chaque année. Or il faut faire des transferts de
plus de 3 % aujourd’hui. En outre, il reste encore à
convaincre les 25 autres pays de l’Union. Or la coalition
Suède-Danemark-Pays-Bas-Autriche refuse les subventions et ne se dit
favorable qu’à des prêts de la Communauté européenne aux pays
nécessiteux (du Sud).
Un
tel scénario ne nous ferait pas avancer : on aura juste retardé
un peu la montée des spreads italien et espagnol. Les
États du sud de l’Europe, quant à eux, ne vont pas se
ré-endetter, ils savent très bien que cela les mettrait sur la voie
grecque. Si les faucons du nord de l’Europe ne veulent pas porter
la responsabilité historique de l’éclatement de la zone euro, ils
vont devoir aller beaucoup plus loin. Le tandem franco-allemand,
quant à lui, s’il veut prouver qu’il est vraiment ressuscité,
doit négocier avec ces faucons. La vraie question devient alors :
sur quoi la France est-elle prête à céder pour avancer sur le
financement communautaire de la reconstruction écologique de
l’Europe ? Sinon, la déclaration lyrique de la mi-mai au
sujet de ce
plan franco-allemand de 500 milliards finira
comme le beau discours de Meseberg de juin 2018, qui n’avait
débouché sur… rien.
Pour
rembourser ces 500 milliards, qui doivent à mon sens être fléchés
vers des investissements verts, il faut par ailleurs dégager une
nouvelle ressource fiscale. Car si nous nous contentons d’augmenter
la contribution de chaque État au budget de l’Europe, qu’aura-t-on
gagné ? Chaque État devra acquitter de la main gauche ce qu’il
reçoit de la main droite. Cette nouvelle ressource fiscale, donc, ce
pourrait être une taxe carbone aux frontières de l’Europe –
c’était d’ailleurs l’une des conclusions du rapport
Stern-Stiglitz de
2017 auquel j’avais participé –, ou une taxe sur les
transactions financières, ou encore une taxe sur les Gafam. Ceux-ci
s’enrichissent en pratiquant la privatisation du commun mondial
qu’est notre intelligence collective. C’est l’enclosure 3.0,
après celle (1.0) des forêts britanniques au XVIIe siècle,
puis l’inflation des brevets depuis 30 ans sur le génome humain,
les ressources naturelles, etc. (2.0).
Quoi
qu’il en soit, étant donné que ces 500 milliards sont loin de
suffire, il faudra se poser la question de l’annulation des dettes
publiques européennes. Elles s’élèvent à 2 200 milliards
au bilan de la BCE aujourd’hui, 420 milliards pour la France –
résultat de la politique de rachat des titres de dette publique
depuis 2015 par la banque de Francfort. Techniquement, peut-on
annuler cette dette ? Oui. Est-ce que cela cause un trou dans le
bilan de la BCE ? Oui, mais une banque centrale peut vivre sans
difficulté avec une telle perte à son bilan ; ses fonds
propres sont ridiculement faibles (10 milliards d’euros). Ils
deviendraient négatifs, certes, mais la Banque des règlements
internationaux – la Banque centrale des banques centrales, logée à
Bâle – a publié un
rapport pour
confirmer que, contrairement à une banque commerciale, une banque
centrale pouvait continuer d’opérer avec des fonds propres
négatifs. Est-ce que quelqu’un serait lésé ? Non. Cet
argent n’est dû auprès de personne : c’est une dette que
nous nous devons à nous-mêmes.
J’avais
déjà fait cette proposition dans mon livre Illusion
financière (éditions
de l’Atelier, 2013). Depuis qu’elle est revenue sur
le devant de la scène, nous assistons à un déluge d’objections
sans fondement, avancées par tous ceux qui défendent la politique
d’austérité menée depuis des années. Or il se trouve que Mario
Draghi, qu’on ne peut guère soupçonner d’ignorer comment marche
une banque centrale, a lui-même suggéré dans
le Financial
Times d’annuler
les dettes privées détenues par la BCE.
L’enjeu
à peine dissimulé derrière ces débats, c’est la politique
d’austérité budgétaire que le gouvernement français s’apprête
à imposer à la population française. En réalité, si l’opinion
publique comprenait qu’il était possible d’annuler 420 milliards
de dette publique française que nous nous devons à nous-mêmes,
cela compliquerait sérieusement l’acceptabilité sociale de
l’austérité budgétaire, de la destruction des services publics
et de tout ce qui a conduit à la tragédie actuelle des morts
provoquées par le coronavirus. Il est donc très important de
discréditer cette idée, de la faire passer pour une douce rêverie
irréaliste.
Le
vrai sujet est plutôt : l’euro continuerait-il d’inspirer
la confiance si nous annulions la dette publique au bilan de la BCE ?
Si nous persistons à pratiquer l’austérité budgétaire, alors
nous risquons d’entrer dans une dépression économique plus grave
que celle des années 1930. La « crédibilité » de
l’euro sera entamée pour au moins dix ans. Et nous risquons même
de provoquer l’éclatement de la zone. L’annulation des dettes
publiques que nous nous devons à nous-mêmes est, au contraire, le
meilleur moyen de sauver l’euro.
La crise provoquée par le coronavirus a permis aux lobbies industriels et aux grands groupes d’avancer leurs pions… Manœuvres de l’agriculture industrielle au niveau européen pour retarder des réglementations, grande distribution profitant du confinement au détriment du petit commerce, tentatives du Medef de mettre un moratoire sur les dispositions environnementales… Est-ce que l’écologie est en train de perdre une bataille ?
Oui,
mais cette bataille n’est pas complètement perdue. La grande
distribution en réalité semble jouer un double jeu : elle
avait promis des chèques de 1 000 euros à ses « premiers
de corvée » – notamment les caissières qui ont consenti à
prendre des risques, sans masque, sans gel hydroalcoolique, etc. –,
mais j’ai l’impression que ces promesses sont en train de
s’enliser dans le sable. Et elle semble avancer ses pions, en
effet, pour se dégager des contraintes écologiques.
Cela
dit, des pétitions sur la transition circulent, signées par des
grands patrons. C’est peut-être en partie du greenwashing,
mais je crois qu’il y a aussi une prise de conscience de la part
des industriels. Ces derniers se rendent compte que, si l’on ne
lance pas la reconstruction écologique du continent européen, nous
allons nous retrouver en très mauvaise posture. Ils voient bien
qu’un
prix du baril négatif pendant quelques jours est une catastrophe.
Cela présage d’une forte volatilité du prix du pétrole et
annonce un goulet d’étranglement dans quelques années. Le yoyo du
prix du baril, c’est la fin d’une économie construite sur le
pétrole, car il prive tous les industriels de toute visibilité de
long terme sur leurs investissements.
Les
grands industriels sont en train de réaliser qu’il leur faut se
débarrasser de leur dépendance au pétrole, d’autant plus que le
pic du pétrole, toutes techniques confondues, est pour bientôt
(entre 5 et 30 ans, selon le point de vue). La plupart ont très bien
compris que leur business pour les 50 prochaines années,
c’est la reconstruction écologique. La difficulté, bien souvent,
provient des actionnaires, qui font pression sur le top
management des grands groupes pour l’obliger à continuer de
distribuer des dividendes déraisonnables.
Arrêter la grande banlieue pavillonnaire
Le greenwashing,
à mon sens, est plutôt du côté de certaines banques. Celles-ci
ont en effet dans leurs bilans énormément d’actifs qui dépendent
des énergies fossiles. Elles continuent de financer massivement les
énergies fossiles – selon Oxfam, pour 1 euro en faveur des
renouvelables, les banques françaises financent en moyenne 7 euros
pour les fossiles – et ne veulent pas de la transition, à cause de
ce que l’on appelle le « risque de transition » :
si, demain matin, nous décidions que le charbon est un « actif
échoué » (stranded asset), dont la valeur de marché
est nulle, alors certaines banques feraient de telles pertes qu’elles
déposeraient rapidement le bilan.
De
ce fait, les patrons de ces banques ne voient pas d’autre issue que
de se réfugier dans le greenwashing. Par
exemple, elles se sont mises à émettre des green
bonds depuis
2009, ce qui a donné l’illusion auprès du public que nos banques
s’étaient enfin « converties » à la vraie vie, et en
particulier à l’écologie. Malheureusement, en réalité,
les green
bonds financent
exactement la même chose que les obligations conventionnelles :
il n’y a à peu près aucune
« additionnalité » des
projets « verts » à l’égard des projets usuels
financés par de la dette. Cela ne veut pas dire qu’on ne pourra
pas, à l’avenir, financer des projets verts avec des green
bonds. Mais
cela signifie qu’actuellement, on ne le fait pas plus que
précédemment.
Ce monde d’après, sans pétrole, à quoi ressemblerait-il, selon vous ?
En
2013 j’avais fait partie du comité des experts pour le débat
national sur la transition écologique, organisé par la ministre
Delphine Batho. Quatre scénarios de bifurcation énergétique pour
la France avaient émergé : Negawatt, Ancre, Ademe, Negatep. Je
sais que Bercy, depuis lors, a jeté ces scénarios à la
poubelle (au sens propre), mais les ingénieurs et les citoyens qui
les ont conçus les ont gardés. Ils sont là, disponibles, prêts à
servir.
Ce
qui les distingue, c’est la part du nucléaire dans le mix
énergétique français en 2035, mais dans tous les cas, ils
entraînent un réaménagement complet du territoire français. Il ne
s’agit pas juste d’un bricolage d’ingénieurs (ce qui serait
déjà beaucoup), mais d’un authentique projet de société qui
passe par trois étapes : rénovation thermique des bâtiments,
développement des transports verts et verdissement de l’agriculture
et de l’industrie
Tous
ces sujets sont liés. On ne peut pas faire de la rénovation
thermique sans penser à la densification urbaine, et on ne peut pas
redensifier sans réaménager la mobilité verte des Français.
L’objectif,
c’est une société zéro carbone en 2050. Nous savons que la
planète doit ramener ses émissions nettes de CO2 à
zéro avant 2060 si nous voulons conserver quelque chance de ne pas
nous éloigner trop du seuil des 2 °C sur lequel la communauté
onusienne s’est mise d’accord en décembre 2015. La France s’est
engagée à le faire dès 2050, ainsi que beaucoup d’autres pays.
Nous savons aussi qu’il n’y aura pas de techniques de capture et
de stockage de carbone à l’échelle industrielle qui permettraient
de nous exonérer d’avoir à réduire nos émissions quasiment à
zéro.
Pour
cela, on arrête la grande banlieue pavillonnaire
Lille-Roubaix-Tourcoing ou Marseille-Aix, qui est un gouffre
énergétique : il faut développer de petits centres urbains
très denses pour faire des économies d’énergie et mettre en
place des plans d’urbanisme optimisés. Une ville optimisée peut
diminuer par dix sa consommation d’énergie.
Il
faut évidemment relier ces villes entre elles par du train, ce qui
suppose de réhabiliter une partie du réseau ferroviaire français,
qu’on a détricoté après 1945, revenir sur la privatisation de la
SCNF et relancer le fret ferroviaire.
C’est l’exact inverse de la politique du gouvernement actuel ! La ligne de fret Perpignan-Rungis est menacée de fermeture depuis quelques mois…
En
effet, c’est impressionnant de cécité et d’endurcissement dans
l’erreur. On n’aura pas de camion électrique avant 15 ans, et on
n’en aura d’ailleurs peut-être jamais… Cet entêtement à
faire l’exact contraire de ce qui s’impose me rappelle
l’endurcissement de pharaon dans le livre de l’Exode : son
pays s’effondre sous les dix plaies d’Égypte (Ex 7-11) mais non,
il s’accroche à une politique qui perd.
Ce
qu’il nous faut, ce sont des petits centres urbains très denses,
innervés par du transport public, reliés par le train et alimentés
par des circuits courts fournis par de la poly-agriculture dans
l’hinterland de chaque ville. À terme, ce sera la fin de la
grande distribution. Elle le sait d’ailleurs. Les gens iront
chercher à manger à proximité des gares, en prenant les transports
publics de la ville, à vélo, à pied… mais ils ne prendront plus
leur voiture pour aller au supermarché situé à quatre kilomètres.
Cela
suppose de réviser complètement la politique agricole commune (PAC)
pour mettre fin à l’ultra-spécialisation et au surendettement des
agriculteurs français. Une bonne nouvelle pour tous nos paysans qui
se demandent comment payer les dettes qu’on les a obligés à
contracter pour rester dans les clous de l’imaginaire
agro-industriel qui hante la PAC. Cela passe aussi par une réduction
de notre consommation de viande, en particulier de viande rouge. Nous
avons besoin d’un élevage bovin français bio, de qualité, en
quantité limitée pour des besoins limités. À titre personnel, je
suis devenu entièrement végétarien.
C’est
un chantier énorme, qui impose aussi de repenser complètement la
décentralisation française, de redonner des compétences, du
pouvoir, de l’argent et de la responsabilité aux collectivités
locales.
En termes d’emploi, qu’est-ce que cela pourrait signifier ? Que dire à ceux qui opposent l’urgence de la déflagration sociale à un horizon écologique qui peut paraître plus lointain ?
Ressusciter
le monde ancien ne marchera pas pour créer des emplois. On avait
déjà bien trop de chômeurs avant la pandémie, d’autant qu’une
bonne partie du sous-emploi français est dissimulée par du temps
partiel, tout comme en Allemagne. Le taux de sous-emploi français en
équivalent temps plein est à 30 % environ (légèrement moins
pour l’Allemagne) ! La moyenne de l’UE tourne autour de
30 %. Le monde ancien n’était donc pas la solution hier, il
le sera encore moins dans le contexte macro-économique très dégradé
de demain.
La
reconstruction écologique, en revanche, crée énormément
d’emplois. Rien que la rénovation thermique des bâtiments – qui
entraîne des emplois non délocalisables – crée 15 emplois en
moyenne par million investi. Pour le bâtiment public, selon une
étude à
laquelle j’avais contribué avec la Fondation Nicolas-Hulot et le
Shift Project, et que nous avions présentée à Emmanuel Macron
quand il était secrétaire général adjoint de l’Élysée, il
faudra investir au moins 12 milliards par an sur trois ans, ce qui
signifie près de 600 000 nouveaux emplois. Pour ce qui est du
privé, sur lequel la Caisse des dépôts a travaillé, on en a
peut-être pour 30 milliards d’investissements par an pendant 10
ans, ce qui pourrait créer à nouveau 1,5 million d’emplois sur la
période.
On
ne parle là que de la rénovation thermique. Le problème en
réalité, ce n’est pas que nous avons trop de chômage, c’est
que nous n’avons pas assez de main-d’œuvre !
C’est la même problématique en agriculture, où si l’on veut passer à une agriculture agroécologique à grande échelle, il faudrait une main-d’œuvre dont le secteur ne dispose pas aujourd’hui…
Exactement.
Cela ouvre un autre sujet, qui est celui de la formation
professionnelle, que l’on devrait lancer dès maintenant. Non
seulement nous n’avons pas assez de travailleurs, mais nous n’avons
pas assez de professionnels avec les compétences adéquates.
Voilà
la perspective des postlibéraux complètement inversée ! Ces
derniers nous plongent dans un monde de l’austérité, de la rareté
et de la déchéance sociale, alors que la reconstruction écologique
nous ouvre un monde de la surabondance. Vous vous rendez compte ?
Nous manquons de main-d’œuvre…
La
question est de nous former professionnellement pour construire la
société de demain. À ce sujet, je suis très favorable à un
revenu de reconstruction écologique : l’État financerait la
formation professionnelle des jeunes, mais aussi des moins jeunes qui
sont piégés dans les « bulls
shits jobs »
(au sens de l’anthropologue David Graeber) ou qui se trouvent dans
des métiers condamnés à terme et doivent se reconvertir. Je pense
notamment à nos compatriotes qui travaillent encore dans des
centrales à charbon que nous devrions avoir fermées depuis
longtemps.
Il
faut aider ces Françaises et ces Français à sortir de l’impasse
et à retrouver un sens à leur vie en apprenant un nouveau métier :
l’un des métiers de demain. Il ne s’agit pas d’un revenu
universel de base ; ce serait un revenu temporaire, réservé à
ceux qui acceptent de s’engager dans une reconversion
professionnelle. On pourrait articuler cela aux territoires zéro
chômeur, dont les expérimentations sont très prometteuses et à
propos desquels je vous encourage vivement à aller voir le film de
Marie-Monique Robin, Nouvelle Cordée.
Pour
financer ce revenu de reconstruction, pas question de contracter de
la dette : je reprends ici l’idée de La Monnaie
écologique d’Alain Grandjean et Nicolas Dufrêne [ouvrage
paru en février aux éditions Odile Jacob – ndlr] :
ce revenu doit être de la monnaie « libre »,
c’est-à-dire une forme de monnaie hélicoptère que l’État
injecte directement sur le compte en banque des particuliers.
Personne n’aura à la rembourser.
L’Australie
avait distribué en 2009 à tous les ménages un chèque de 900
dollars australiens pour les aider à faire face aux conséquences
du krach financier des subprimes. Et cela a
parfaitement réussi : avez-vous entendu parler d’une
récession australienne après 2008 ? Nous, en Europe, nous
avons mis plus de dix ans à nous relever de la tempête financière
de 2008… L’expérience australienne est aussi la preuve que ce ne
sont pas que les gouvernements populistes à la Trump qui distribuent
des chèques à leurs ménages. D’ailleurs, l’Allemagne vient de
le faire, à Berlin, pendant la pandémie.
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