26.- MASCA - MASCA, BERGA-MASCA, CHOEUR DE TERREUR ! - (treizième épisode – suite du 20 juin) - Lorsqu'il aperçut le puissant halo caractéristique sortant le ciel de Bergame d'une nuit résolue, Liang sut qu'il arrivait enfin a proximité de l'Atleti Azzurri d'Italia. Haletant, dégoulinant, chancelant, trébuchant, il aboutit enfin sur une marée noire ou bleue suivant le ressac. En parlant de sac, le sien ferait l'objet d'un long examen de la part des carabiniéris fort intrigués par cette espèce de gigue bridée se présentant avec un tel paquetage. Et tandis qu'il cherchait ses premiers mots pour se justifier dans son français made in china, il déchanta aussi sec lorsque l'officier lui adressa la première tirade. Le jeune homme fit tout de même une tentative dans la langue de Molière (enfin de Jean-Baptiste Poquelin le lendemain de sa naissance) puis retenta sa chance dans celle de Shakespeare. Ces efforts louables ne furent pas suivis d'effets car les deux pendoris ne pratiquait que celle de Dante et encore sans y ajouter la moindre fioriture. Le Chinois ne se baladant que rarement avec un Smith & Wesson ou même un laguiole dans les bagages, ils ne trouvèrent dans ce sac rien d'autre qu'un amoncellement de vêtements et gadgets électroniques. Non sans avoir transmis son signalement au PC sécurité du stade, ils laissèrent passer Liang d'autant que la foule rugissait d'impatience dans le dos des contrôleurs.
Tout près, par delà la citadelle de béton, montait un chant lourd, brutal, glaçant, un ânonnement itératif : Masca, masca, Berga-masca, Masca, masca, Berga-masca. D'un seul chœur. 5 fois. Terrifiant. Liang qui avait pourtant assisté à quelques revues militaires à Wuhan, n'avait jamais rien entendu de tel et ce tourbillon dans lequel il était entraîné depuis son arrivée en gare et la folle course vers l'Atleti, prit un tour nouveau avec cet étonnant tonnerre vocal. La suite était plus légère, c'était une sorte de "la-la-la, lala, la ..." comme il s'en chantonne dans tous les rassemblements de couillons. Mais enfin l'effrayant "Masca" demeurerait à jamais dans les souvenirs auditifs de Liang qui n'était pas au bout de ses surprises.
Car lorsque le jeune marié avait demandé à l'agence Taï Yang China de lui dégoter un billet pour ce match de Coupe d'Europe, la personne qui suivait son dossier avait réservé la place la moins chère du stade. Pour un voyage à 120 000 yuans, on allait quand même pas le placer en tribune présidentielle, à déguster des petits fours et siroter du Donizetti Spriss, aux côtés des huiles et amis de Berlusconi. Toujours affublé de son immense sac à dos, le pauvre se retrouva derrière les buts du gardien Sévillan et lorsqu'il surgit de la bouche d'accès aux tribunes de fond, il n'en revint pas. Ils devaient bien être deux mille à éructer d'une seule voix "Masca, Masca" ! Ils assortissaient ce slogan restrictif d'un salut fasciste, mais avec les deux bras. Puis au moment du "la-la-la" ils se mettaient à sauter de sièges en sièges en descendant puis en remontant. Les plus gros-lards arrachaîent les dossiers aux passage. Se vautraient. Se redressaient. Recommençaient.
Liang ne savait où se mettre pour éviter la grande bousculade et ne pas terminer son voyage de noce aplatit sous une nuée de rangers déchaînés. Lorsqu'il fut recouvert d'une longue bâche puante - probablement un immense maillot aux couleurs de Bergame - c'est un interminable wouhh que poussa la tribune, tandis qu'elle remontait de main en main cette couverture qu'elle venait à peine de rabattre.
Il se dit qu'une fois le coup d'envoi donné tout le monde allait s'asseoir et qu'on allait enfin pouvoir "parler" football. Espoir vite douché car bien au contraire, les crétins se mirent à siffler, à hurler deux fois plus, à taper dans les mains et surtout, surtout à sauter, sauter et encore sauter... La tribune tremblait, le stade tremblait, Bergame tremblait et une grande partie de la Lombardie aussi, probablement.
"Et oh oh oh, et ho ho ho"... puis "Hoho, hohoho ho ho, hohoho ho ho..." pour les paroles c'était du gâteau, mais pas du al Dante ! Côté musique il y avait un peu de Verdi, mais du Verdi dans le fruit. Pourri. Inaudible. Insupportable. Une demi-heure plus tard, il ne s'était toujours rien produit sur le terrain. Des bleus foncés contre des rouges pâles échangeait le ballon, comme s'ils avaient décidé d'en avoir la garde alternée. Ramassé dans son coin, le Chinois pensait vivre un cauchemar. Et attendait de se réveiller, tout en se disant : "Pour un match de Coupe d'Europe c'est plutôt languissant. J'aurais du rester avec les Chrétiens et ma chéries Jiao." Mais il sortit de sa torpeur lorsqu'il reçut un paquet humide sur la joue. Son premier réflexe fut de s'essuyer de la main et l'aspect gluant ne lui laissa aucun doute, c'était bien un crachat qui venait de lui être expédié. De l'autre côté de la grille centrale, les supporters visiteurs, des Espagnols, avaient entamé une guerre de postillons, qui tournait aux plus grosses munitions. Ce n'était pas bien hygiénique ni même agréable, mais ce n'était rien comparé aux premières salves de boulons de bons calibres et les bouteilles de Péroni - la bière du tifosi - qui venaient s'éclater sur les marches, lorsqu'elles n'avaient pas trouvé un corps, parfois même une tête, pour cible....
Le police qui effectuait le tour du stade, déboulait dans le
kop, distribuait quelques coups de matraque de-ci, puis enjambant la barrière, un peu de gaz lacrymogène, de-là.
Mais oui, bien sûr Liang en était persuadé, c'était bien un cauchemar. L'odeur du café matinal ne tarderait pas à le sortir de cet enfer. Mais pour l'heure, c'est un cocktail olfactif de gaz, de fumigènes, de graillon infâme, frites et merguez, de bière ruisselant dans les rangs, de sueur et autre flatulences qui le tenaille jusqu'à l'asphyxie. Les flics reviennent, tandis que les brancardiers tentent d'évacuer les plus touchés.
Et jusqu'au bout les macaques vont et viennent. Éructent, invectivent et agressent. Au milieu, ils sont toujours 22. Beaucoup plus calmes. Parfois un tir de loin, une tête piquée, un coup plus ou moins franc, soulève des clameurs inouïes. Deux heures plus tard, c'est sur un score nul et vierge que les bleus foncés et les rouge pâles se saluent. Certains s'embrassent car ils jouaient l'année dernière dans le même club, les autres s'embrassent aussi puisqu'ils joueront ensemble l'année prochaine ou un peu plus tard ! Liang lui se retrouve entraîné dans un échange fougueux d'accolades, il tousse et suffoque, au secours ! il veut se tirer de là...
Ce qu'il retiendra de ce déplacement évocateur et pitoyable, c'est que ses petits footballeurs chinois pas payés offrent pourtant un bien meilleur spectacle. Qu'en réalité en Europe la plus grande menace qui vous guette, ce n'est ni les centrales nucléaires, ni le sida, ni même les restaurants de bord de mer, c'est le supporter de football.
Quant au dialecte local, il n'en retiendra rien si ce n'est une série de mots entendus tout au long de cette pénible soirée : pezzo di merda, stronzo, figlio de puttana, minchia, cazo, cornuto, cagna et l'indémodable vafanculo.
D'ailleurs pour mieux les retenir, il se les répétera dans sa langue maternelle : 屎,混蛋,混蛋,他妈的,卡佐,乌龟,母狗,迷恋. Et il retrouvera le sourire une fois couché, à l'abri dans son hôtel - tandis que des pétards tels des bombes, agitent encore la nuit de Bergame - en pensant à son retour dès demain, à la civilisation et les bras de Jésus.
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