20.- DEPUIS 69, ANNÉE EUCHARISTIQUE - (douzième épisode – suite du 13 juin) - Les Joyeux Chrétiens se retrouvent ici, à Riquesheim – entre Mulhouse et Colmar, entre cambrouse et brouillard - toutes les dernières semaines de janvier. C’est le seul rassemblement au monde où les catholiques et les protestants communient ainsi, dans la vénération d’un seul dieu en oubliant la vierge Marie et la Saint-Barthélémy. Ainsi que le 29 janvier 1979 ! Nous fêtions alors le dixième anniversaire de la création de ce rassemblement en 69 « année eucharistique ». Remarquez, le différend était intervenu lors du banquet clôtural. Le ton était monté d’un bout de la table à l’autre et après qu’un anglais ait traité le pape de "cochon", une bouteille à peine entamée avait été lancée par un italien ombrageux, jugeant que le bouchon avait été jeté un peu trop loin. Il aurait évidemment été préférable que l’italien jette un bouchon à la figure de l’anglais qui aurait lancé la bouteille un peu trop loin. Car évidemment, lorsqu’elle arriva sur le coin de la figure de la voisine qui n’était autre que son épouse, Rosy, il y eut d’abord une belle gerbe de sang, puis un énorme pugilat, des cris, des pleurs, des sirènes, de la fureur, de la stupeur. Des flics et des pompiers. Un beau bordel œcuménique ! Emiliano, le malheureux, fut contrôlé positif au Riesling. Certes cela ne pesait pas lourd (à peine trois grammes), mais les gendarmes n’en ont pas moins conduit le transalpin en garde à vue et en cellule de dégrisement. Il ne fut libéré que sous caution. Le pasteur Isé et l’abbé Cacine - coorganisateurs du rassemblement - proposèrent pour ce faire et à la hâte, le jour de la dispersion du rassemblement, une nouvelle quête. Celle-ci n’étant pas vouée au culte, mais à la cuite de l’italien.
Il fut depuis lors inscrit dans le code de bonne conduite distribué à tous les participants, que tout comportement agressif, y compris consécutif à un abus de boisson, entraînerait l’exclusion définitive du fautif de l’association des Joyeux Chrétiens. Toutefois le repas, animé par le groupe folklorique « Les Culottes de peau Gickenbauf », invitait à la fête et à de légers excès d’autant que les tireuses à bière se montraient généreuses et la dotation en vin blanc de différents cépages, tout aussi abondante. Sans compter que la flammekueche, la choucroute royale avec un demi-jarret, le munster et le kouglof précipitent souvent les convives sous des tonneaux d’abondance, voire même des Danaïdes. Et puis n’imaginez pas que vous vous en tirerez sans un petit verre d’eau de vie de mirabelle, qu’offre généreusement à ses ouailles l’évêque de Strasbourg, Mgr Prunette. Bref il faut du coffre ou un tempérament placide pour ne pas s’emporter lorsque l’alibi du christ est débattu entre les uns et les autres : que faisait-il, le chevelu, entre le 6 et le 9 avril de l’année 33 ? Mais, faut reconnaître ! Trois jours pour ressortir du tombeau, ranger ses affaires, trouver l'échelle et monter au ciel, ce n’est finalement pas tellement abuser.
Et puis convenons ensemble toute confession confondue ou défendue, qu'après deux jours de jeûnes, de prières et de balivernes, tout excès de chère - voire de chair, mais cela ne se fait que rarement à même la table, dans la salle des fêtes Jeanne-d’Arc de Riquesheim – paraissait excusable à défaut d’être légitime.
C’est alors que le pape en personne - souvent satanisé par les Réformés – prit l’engagement de reconnaître par sa présence toute la place et l’utilité de ce rassemblement. Déjà le 30 août précédent, Jean-Paul Premier s’était engagé à venir saluer les Joyeux Chrétiens en Alsace l’année suivante. Las, confondit-il vitesse et précipitation, persil la ciguë (?), toujours est-il que le pontife fut rappelé par son aîné Saint-Pierre trente jours à peine après la fumée blanche. Jean-Paul le second, feignit un agenda surchargé et sembla toujours faire un détour pour éviter l’Alsace.
Quarante-et-un an après ce fâcheux épisode, il ne reste plus qu’une poignée de fidèles témoins de la cène, non plutôt de la scène et aucun d’entre eux n’est disposé à s’appesantir sur la question. Jiao et Liang furent donc accueillis chaleureusement entre félicité et curiosité. M. Kroepfle qui tenait la feuille d’émargement s’étonna de ne voir que le non de la dame et c’est alors qu’il fallut expliquer que le monsieur ne faisait que l’accompagner et qu’il s’en irait le soir même vers Bergame pour suivre un match de la Ligue européenne. Mlle Lelonbec qui distribuait l’élégante chasuble de bienvenue aux couleurs du Rassemblement des Joyeux Chrétiens, décoré à l’avant d'une croix sans christ pour figurer le protestantisme et à l’arrière une croix supportant Jésus crucifié symbolisant le catholicisme, marqua une expression de désapprobation, avant de se reprendre et d’offrir le présent à Jiao.
Laquelle fut l’attraction du rassemblement. Elle n’était certes pas la seule représentante du continent asiatique. Coréens et Philippins notamment se bousculaient même suivant les sessions, mais les Chinois faisaient exception.
Bien que ne pratiquant le français qu’avec fantaisie et l’anglais, extravagance, elle sut expliquer l’origine de sa foi – dont j’ai d’ailleurs perdu le fil, veuillez me pardonner - et les difficultés à pratiquer dans un pays où les foires aux chiens du dimanche matin sont plus recherchées que les offices religieux en général, catholiques en particulier. Liang qui parvenait à mieux construire ses phrases défricha largement le chantier des présentations et, malgré son penchant pour le profane ballon rond, fut finalement adopté, apprécié même par l’ensemble de la communauté. Il fut alors convenu que si le train n’avait pas de retard considérable, ce qu’à dieu ne plaise, il serait invité au banquet final.
注意自己。看来足球运动员是暴力的 * supplia Jiao qui semblait habitée d’un mauvais pressentiment. Liang la rassura d’un grand sourire amusé et d’un baiser langoureux et démonstratif qui ranima quelques regards en coin et une sourde désapprobation. Il devait partir le soir même pour Bâle où il espérait bien, cette fois, pouvoir embarquer à bord de l’un de ces trains dont la seule fonction semblait à ses yeux de rester à quai. « N’ ayez crainte, lui avait suggéré un Joyeux Chrétien, Bâle est en Suisse et là-bas il ne rigole ni avec le travail ni avec la ponctualité. Vont train partira et il arrivera à l’heure ! » Liang qui vit dans un pays de 10 millions de kilomètres carrés, n’en revenait pas de traverser trois pays en parcourant de si petites distances !
Voici donc ce dixième épisode terminé. Jiao est installée. Elle va pouvoir frapper dans ses mains et embrasser qui vous voudrez. Quant à Liang il va devoir parvenir à l’Atleti Azzurri d'Italia pour assister à cette rencontre hautement latine et parfaitement dépaysante pour un placide levantin.
* « Fais attention à toi. Il parait que les footballeurs sont violents »
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