vendredi 15 mai 2020


Non ce n'est pas Guangzhou mais Bordeaux-lac...


14.- LES LOURDES CONFESSIONS DE LUCAS RABIN (septième épisode – suite du 7 mai) - A peine installés dans cette salle d’attente où personne n’attendait jamais tant le praticien manquait de chalands, le couple fut introduit dans le cabinet non moins spacieux, dépouillé et froid, de cet intriguant médecin. Il ne faisait pas si vieux, mais Liang découvrit en scrutant les rares cadres rompant la monotonie de pans blancs et interminables, que son doctorat décroché à Bordeaux - et accroché au mur gauche de la salle de soin – remontait à 1998. Vous n’auriez pas su lui prêter un âge non plus. Il était grand mais un peu tassé déjà. Comme complexé. Ou compressé par quelque chose ou quelqu’un. Allez savoir ! Pas très gros non plus, mais épais, sans doute grassouillet quand même. Quelque chose dans le regard de vif. Déterminé. Jurant avec une démarche mollassonne. 
Il s’installa comme à grand peine, voire à regret et se posta devant le couple. Le couple en fit de même. Jiao sentait monter en elle cet irrépressible besoin de se marrer tout en maîtrisant encore l’incontournable éclat. Liang ne serait plus là pour tenter d’édulcorer les effets d’un rire tempétueux susceptible de provoquer quelques dégâts sur le bureau déjà en panique du praticien, mais également sur son moral tant il semblait tanguer entre combativité et neurasthénie. 
Avec un prochain rendez-vous à 18 heures, Lucas Rabin tuait le temps comme il pouvait, retenant indéfiniment les patients sur leur fauteuil. S’il avait opté pour la psychanalyse, ses longueurs exagérées lui auraient valu de la considération. Bien souvent ces genres d‘entretiens sont meublés de longs échanges silencieux qui participent intensément de la thérapie. Le docteur soutint donc encore un moment son regard oppressant sur Jiao et Liang, dont l’état récent et embarrassant empêchait cependant toute manière d’inquiétude. Il s’aperçut que ces deux jeunes visiteurs dissimulaient péniblement leur hilarité. Il y décela même un début de souffrance , comme lorsqu’on se tortille depuis un bon moment avec cette envie de pisser qui vous laisse seul au monde.
Mais toujours dans ce cas, on s’interroge. Ils seraient pas en train de se foutre de ma poire les deux bridés là, pas hasard ? Rabin n’avait pas de gros nez. Ni crochu, ni tordu, ni boutonneux. Le nécessaire et rien d’autre. De longs très longs cheveux gris-blonds et quelques reflets un peu roux. Un peu gras aussi qui se déposaient en paquets sur sa blouse blanche mal repassée. Légèrement terne, ce qui tendait à révéler que le garçon était seul à la maison ou bien alors en couple avec l’une de ces filles qui ont bien trop à faire pour s’occuper du linge du mâle aimé. Malgré son look de médecin de brousse, assistant du dc Schweitzer par exemple, il formait qui sait, un couple moderne ? 
Il en avait en tout cas les moustaches de ce brave Albert. Un peu plus pendantes et en bataille. Négligées. Le docteur Schweitzer les entretenait. Je ne ne conçois pas la chose autrement. Toujours parfaitement symétriques au poil prés et rangées comme un jour d’inspection militaire. Sauf que lui c’était toujours. Et qu’on ne me dise pas que dans les hôpitaux de jungle au fin fond du Gabon, par des températures susceptibles de faire fondre la permanente de ma cousine Marie-Henriette, des moustaches honnêtes et si touffues peuvent finir autrement qu’en broussailles. Bref il avait un truc, un secret que personne ne percerait, pas Lucas Rabin en tout cas, le professeur ayant quitté ce monde il y a 55 ans. 
Mais enfin, si de premier abord on aurait eu la tentation de jeter dix balles dans sa casquette, il suffisait de se rapprocher un peu pour constater à sa chemise vichy façonnable et à sa rolex, qu’il avait bien réussi dans sa vie. Certes son papa, médecin de campagne dans les Landes, propriétaire d’un petit château, appartenant à la noblesse de robe des Rabin de Castelnau, n’avait pas hésité à sortir la vieille machine à fiston pour l’aider à franchir les épaisses grilles du numerus clausus, puis du mur élevé de la première année. Si bien que malgré quelques tentatives d’évasion vers des cieux moins laborieux, Lucas finit par énoncer le serment d’Hippocrate au terme d’une interminable décennie.
您来自中国哪个地区?那你怎么了? Demanda-t-il à ses patients interloqués. 
- Vous parlez notre langue interrogea Jiao la première, dans une expression presque effarée contrastant avec son visage illuminé, ravagé par les rictus. 
- Ben si vous m’avez compris, ça doit être que je parle effectivement chinois, même si j’ai bien conscience de l’écorcher souvent. Compte-tenu de mon nom de famille, les gens pensent que c’est de l’hébreu, mais je ne suis pas juif et n’en connais pas un traître son.
- Nous sommes venus, lance Liang et fixant Rabin de la même mine incrédule, car Jiao a connu des crises très particulières où elle ne cessait de rire. Cela va un peu mieux, mais je m’y suis mis à mon tour. Peut-être moins mais suffisamment pour m’inquiéter. D’autant que nous en avons parfois le souffle coupé et cela provoque des brûlures ici (il désigne la cage thoracique) et nous avons de la fièvre. Elle monte très fort et puis disparaît. Cela dépend des moments. Mais comment se fait-il que vous parliez chinois ? Je ne savais pas qu’on enseignait le mandarin en médecine !
- Lorsque j’ai été diplômé de la faculté de Bordeaux, papa voulut que je partage son cabinet et que j’assure une rapide succession. Il venait de rencontrer une espagnole de tempérament et lui qui s’était profondément emmerdé avec maman, avait hâte de refaire son retard et de rallonger sa pratique sexuelle. Il savait bien que je ne m’y faisais pas moi, à l’existence parmi ces maïs qui vous bouchent l’horizon six mois par an et ses pins sans fin qui me filent des allergies exténuantes. Et je déteste le foie gras de canard. Mémé, brave et sainte femme, m’en fit tant avaler au goûter sur des tranches de pain de campagne que je ne pourrais jamais plus le souffrir.

J’avais correspondu par fessebouc - un site qui met en relation les déficients sexuels – avec une jeune pékinoise qui à force de me louer les charmes de sa province avait éveillé une certaine curiosité. Un soir de dispute moins ordinaire qu’à l’accoutumée, je laissai le vieux docteur Rabin à ses principes et à sa pétasse ibérique et m’envolais vers Sun Yat-Sen University à Guangzhou. Je m’étais dit qu’un spécialisation en médecine chinoise serait un plus, lorsque j’ouvrirais mon propre cabinet à Bordeaux, car je m’étais attaché à cette terre un peu austère, à cette bourgeoisie coincée. Mais seulement en apparence, car il y a pas plus foldingue qu’une femme du monde girondine, comme en témoigne les célèbres bacchanales libertines où sperme et sauternes finissent par s’échanger au petit matin, dans la plus grande fusion et confusion…Mais je ne suis pas sûr que vous me suiviez, s’interrompit Lucas Rabin, stupéfait de se laisser aller à tant de confidences.
- Il y a quelques mots qui m’échappent bien sûr, mais j’ai bien compris que vous préfériez Bordeaux à Mont-de-Marsan. Et les bourgeoises de Gironde aux oies des Landes. Mais pourquoi avez-vous choisi Paris alors ?
- Je ne l’ai pas choisi. Mes études d’épidémiologie à Guangzhou m’ont convaincu que le pouvoir des plantes était plus opérant que n’importe quel autre. Mon Maître, M. Myang Tsé Phong dont vous avez peut-être entendu le nom, réalisa des prouesses avec quelques plantes et minéraux recueillis sur l’ensemble de la planète. Sa potion contribua à l’allongement sensible de l’espérance de vie et si vous êtes un milliard et demi, ce n’est pas votre taux de natalité qui progresse, mais la mortalité qui régresse. Et ça c’est l’œuvre de Maître Tsé Phong. Lorsque je suis rentré pour ouvrir mon cabinet de médecine chinoise, place Saint-Augustin, le succès a été fulgurant. J’avais ramené tous les stocks que m‘avait offert mon mentor pour la potion, ainsi que ces vieilles aiguilles de jouvence. Mais une fois épuisé il me fallut me mettre en quête de ces produits parfois rares et onéreux. J’eus l’idée d’aller moi – même en Aubrac, chez l’ami Jaco, pour récolter la gentiane qui entre à 2 % dans la composition du breuvage de l’éternité. Mais il n’était pas là, Jaco, et j’ai donc cueilli tout seul les feuilles de gentiane que je fis sécher suivant les procédés enseignés à Guangzhou.
Il y eut deux morts. L’un à Bègles l’autre à Bordeaux-Lac. Deux clients, un homme et une femme qui espérant rallonger leur existence de quelques décennies, se sont éteints bien avant l’âge. J’ignorais qu’il y avait sur les montagnes d’Aubrac une plante semblable en tous points à la gentiane : le vératre. Semblable pas tant que ça, car celle-ci est mortelle !
L’erreur médicale fut aisément démontrée et je fus rapidement exonéré de toute poursuite. Les assurances et le conseil de l’ordre dédommagèrent les familles et il me fallut malgré ce, envisager un rapide déménagement afin de relancer une carrière subitement atone.
Je crains tout de même que la réputation bordelaise m’ait accompagné jusqu’au 6e arrondissement de Paris. Mais, ayant abandonné toute chinoiserie au profit de la chloroquine, le temps produira sûrement son œuvre. Je ne sais pas pourquoi je vous ai raconté tout ça (sans doute car il avait encore du temps), mais je crois savoir ce qu’il vous arrive. 
Vous n’écoutez jamais les informations ?
Et voilà ce septième épisode est déjà terminé. Nous n’avons pas beaucoup avancé aujourd’hui, mais à l’image du docteur Lucas Rabin, il faut parfois savoir prendre son temps et soigner les détails. Ils conditionnent souvent la suite. Même si, en l’espèce, tout ça n’a strictement aucun rapport avec l’histoire. 
A vendredi prochain si vous êtes encore là ! 



Drôles de nouvelles


  • Déclenchant un tollé en France, le géant pharmaceutique Sanofi a prévenu mercredi qu'il réserverait probablement aux Etats-Unis la primeur d'un éventuel vaccin contre le nouveau coronavirus, car les autorités américaines ont investi dans sa mise au point.
    Pour que le vaccin soit disponible en Europe "de la même manière", il faut que l'Union européenne se montre "aussi efficace" pour financer sa mise au point, a ajouté jeudi le responsable français du groupe. L'accès à un vaccin doit être "équitable et universel", a réagi la Commission européenne.
    Oui mais c’est surtout que Sanofi ce sent bien dans les bras de Trump. Un homme stable, affable et tellement humain avec tous ceux qui ne jurent que par le pognon...


  • Nous  pourrons partir en vacances en France en juillet et août, a annoncé le gouvernement. Trop aimable ! Mais l’état ne s’arrête pas là et dévoile un plan de soutien de 18 milliards d'euros au secteur du tourisme. Bravo au lobby hôtelier. Mais on aimerait savoir où se trouve le gisement dans lequel puisent nos gouvernants qui prétendaient n’avoir plus un rond pour l’hôpital ni pour nos retraites !!!

  • Les Français sont devenus accros à la pratique du sport. C’est à dire qu’en l’absence de foot à la télé, il a bien fallu qu’ils s’occupent. L’important est qu’ils ne se remettent pas dans leur fauteuil à la reprise du championnat. Fini la télé, les paris sportifs et le sport professionnel. Le monde d’après serait un monde amateur où le sport redeviendrait ce qu’il n’aurait jamais cessé d’être : un loisir, un plaisir, une bonne façon de maigrir...




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire