Avant, je ne rejetais pas tout de Noël. Comme tout enfant gâté – j’entends par là de n’être pas né sous les bombes, dans la famine ou avec un tonton pédophile – quelques beaux souvenirs demeurent en moi. Des images diffuses, des joies furtives de cadeaux uniques dans tous les sens du terme, des effluves de volaille au four, des sourires de grands-mères... Des sensations d’amour, douces, je veux dire paisibles et mesurées. Il me semble que les Noëls d’enfance forgent notre existence, au même titre que les premières caresses, les voies apaisantes de nos parents, le sein soyeux d’une maman, un départ en vacances, une rentrée des classes et les premiers émois, évidemment. Je crois - et je ne fais pas exception - avoir été ainsi construit dans la modération, le respect de l’environnement et du voisinage, l’amour suffisant et le confort idoine. J’assume de penser que nous avons été - nous que nos enfants appellent les boomers -, les privilégiés de ces derniers siècles, peut-être de l’humanité toute entière. Bien sûr, il y avait dans certains grands foyers bourgeois, des gabegies outrancières, de la suffisance et du mépris envers des classes laborieuses bien plus répandues qu’aujourd’hui, du cœur des villes, aux banlieues sombres, aux campagnes profondes. Il ne me semble pas toutefois que l’indigence et le malheur dominaient et c’est au contraire un sentiment d’égalité devant le vieux barbu tout en rouge, un désir de contentement qui unissait le peuple, bien au-delà des rites précieux de la messe et de sa crèche animée. C’est dans les deux décennies précédant le siècle où nous vivons, que tout s’est gâté, j'allais écrire que tout s’est pourri. En tout cas, que le mouvement s’est accéléré. Que la machine s’est emballée. Que la terre s’est déréglée. Ainsi en moins de temps qu’il ne faut pour le réaliser et l’empêcher, Noël a cessé d’être la fête du christianisme, de la fraternité et du partage - avec ou sans religion - pour devenir quelque chose de monstrueux qui en constitue d’ailleurs tout le contraire, dans les faits et l’esprit : la fête du capitalisme. Les maîtres du dogme, les grands patrons, les financiers, puis les multinationales qui tiennent désormais l’économie globale et les États complices dans le sillage de l’ogre américain et des riches pays occidentaux, ont transformé le rituel mythique en colossale machine à cash. Il ne fallait pas compter sur les foyers, les parents, les familles pour résister longtemps aux nuées de publicités qui leur tombèrent dessus sous forme de catalogues envoyés très tôt dans le seul but d’aiguiser la convoitise des enfants et parfois de leur aînés, puis le matraquage systématique des médias, des télévisions et enfin, de tous les écrans ligués. Et puisque cela marchait si bien, pas question de lever le pied. Tous ceux qui avaient intérêt à maintenir les consommateurs dans cette frénésie ne se sont pas gênés. Ils ont multiplié les doses en sorte que ce sont maintenant des montagnes de cadeaux qui se vendent, s’offrent et se jettent. Désormais les enfants sont drogués et aveuglés à et par cette poudre aux yeux. Broyés dans un engrenage d’égoïsme, de superficialité et d’insuffisance morale, quand ce n’est pas intellectuelle. Parce que ce n‘est pas tout. Dans le droit fil de cette folie consumériste, il a fallu rajouter aux fêtes des mères et pères, celle des grand-mères, puis Pâques est devenu le grand marché de l’agneau et du chocolat, Valentin enrichit les fleuristes et les marchands de culottes, quant à Halloween il incita les mamans écervelés et leur progéniture au chapeau pointu, à se rouler dans des toiles d’araignées qui ont depuis, annexé le plafond ! et je ne parle pas de la fête libérale et païenne par excellence : le black friday ! D’un côté les nantis mais, dans une bien plus grande proportion, ces classes dites moyennes que je qualifierai bien volontiers de médiocres, complices d’une société de consommation soumise aux injonctions du marché et de l’autre, quelques millions de malheureux, démonétisés, exclus de la société, privés de la plus petite part de bûche de Noël et auxquels personne ne pense jamais, sauf quand il s’agit de les stigmatiser, de les mépriser un peu plus... Combien d'enfants - de parents aussi hélas - éprouveront la moindre pensée, la plus petite marque de compassion à l'égard de ceux qui, de Gaza à l'Ukraine, en passant par le Xinjiang, le Soudan et jusqu'à nos banlieues, n'éprouveront rien cette nuit-là, que l'expression même de la tristesse et de la souffrance ? Voilà pourquoi je me refuse désormais à participer à cette mascarade. Ce qui me transforme immanquablement en grand-père fouettard. En Grinch comme m’en affuble mes enfants en référence au personnage atrabilaire de l’une de ces merveilles de films animés, avec lequel Mickey et les quarante voleurs font un peu plus fortune. Ce qui ne m’empêche de revendiquer ma part d’amour pour ma descendance, autant que ceux qui croient aimer plus fort, parce qu’ils achètent plus gros et plus cher. Du reste, je crois donner bien plus que la moyenne, si on le rapporte évidemment aux ressources de chacun. On se souvient tous de ce film - que je ne trouvais d’ailleurs pas si formidable que ça - mais dont le titre s’avéra terriblement prémonitoire : Le Père Noël est une ordure ! Tout est dit...
Voyez l'une des premières manifestations mondiales organisées contre Noël, dont un ami de Recoulette m’a informé. C'est spectaculaire... https://www.youtube.com/shorts/PgZfq2aUqcc?feature=share |
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