Je suis toujours admiratif de ceux qui, au même niveau de conscience que le mien, parviennent encore à trouver matière à espérer. Cela doit être le signe d’une intelligence supérieure ou d’un degré de confiance génétique. Mais, procédant par contre-exemple, il m’est agréable aujourd’hui de sortir la tête du marasme émirati, pour évoquer la trajectoire méritoire et singulière de Philémon. Je m’empresse de confirmer qu’il ne s’agit pas d’un prénom d’emprunt fantaisiste, puisque je l’ai entendu de mes propres oreilles, avant-hier, sur la seule antenne qui soit encore dressée au-dessus de ma tête, France-Culture. Oui, je sais, cela fait très infatué, presque emphatique de prétendre écouter cette radio, même si nous sommes tout de même plus d’un million et demi tous les jours. C’est tout de même pas notre faute si nous ne comprenons pas l’humour pourtant affûté de Pascal Praud sur Europe 1 et ses copains sur RMC, Rire et chansons ou RTL ! Et puis je me demande bien qu’est-ce que vous avez contre les Philémon? C’est gentil Philémon et cela signifie étymologiquement « celui qui aime la lune ». Vous allez voir que ce n’est d’ailleurs pas sans relation. Il est né, le pauvre, à Nanterre, dans la « haute ». Son papa ne voulait surtout pas que son Philémon rate la cordée et si possible, il le voyait même la gravir jusqu’à en être le premier. Comme déjà lui, le papa, n’avait pas trop mal tourné, il eut les moyens de l’inscrire dans un lycée privé. Catholique, évidemment, pour faire bonne mesure. Alors le gamin, bon prince, accomplit le parcours d’excellence que ses investisseurs de parents attendaient. Math Sup et Spé dans une prépa huppée et c’est là que le fils prodige éprouva les premières démangeaisons. Alors qu’il tentait de vivre son adolescence et sa jeunesse comme n’importe lequel de ses petits voisins, il se retrouva cerné par une bande de stakhanovistes des méninges, qui vivaient en chemise blanche et costume, y compris les jours de relâche. Et on y fait pas gaffe, mais quand on y réfléchit, un gamin de dix-huit ans encravaté à longueur d’année, qui passe son acné à désosser tous les bouquins qui lui tombent sous la main, ça fout la trouille, non ? J’ouvre d’ailleurs une parenthèse pour me faire bien voir de tous ces parents - ou grands-parents d’ailleurs – qui transfèrent leurs monstrueux ego sur des mômes dont ils tiennent absolument à faire des génies, des héros, des « qui ont réussi ». Peu importe qu’ils soient heureux, mais surtout qu’ils réussissent, bon Dieu ! Ils les badent tant qu’ils en deviennent ridicules et inconvenants. Et ce ne sont pas tous des parents de joueurs de foot, d’échecs ou de violon. Y a aussi celui qui à 20,2 au bac à 17 ans et qui triomphera dans la finance internationale... Il va alors sans dire que le géniteur est bien plus coupable que l’enfant qui deviendra, avec son audi, sa piscine et ses voyages en chimères, le plus insupportable des bourgeois. Philémon ne put donc échapper à polytechnique. Oui je sais, mon histoire est insoutenable. Si vous êtes pris de malaise, je comprendrais que vous abandonniez ici la lecture. Mais si vous pensez pouvoir tenir encore un peu, respirez quelque huile essentielle, vous verrez, ça vaut le coup, puisque comme je vous le laissais entendre plus haut, cela se termine bien. D’ailleurs, lui non plus ne se sentez pas bien. Tous les matins en passant dans le hall d’entrée, il lisait la même phrase gravée dans le marbre : « Vous avez le pouvoir de changer le monde” ! Alors, comme un animal pris dans les phares, il se sentit piégé : “C’est comme si on me parlait dans une autre langue ” confiait-il sur Culture. Et sans rien dire à papa, il précipita la mue qu‘il avait déjà bien avant, entamée. Il était de coutume à l’X, d’organiser des forums autour des grands cabinets de conseil, les banques, les financiers vulgairement déguisés en mécènes. Lui n’y assistait jamais ! Ses modèles changent. Il ne prête plus l’oreille qu’aux grandes voix de l’écologie, Jean-Marc Jancovici ou Aurélien Barrau et après la démission de Nicolas Hulot, constate l'insincérité de Saint-Emmanuel-les-mains-jointes et des siens en matière d’environnement, aussi. Le polytechnicien étant non seulement un super-ingénieur mais aussi un militaire tenu au devoir de réserve, il finit son cursus en mettant ses états-d’âmes en sourdine. Mais une fois libéré de ses obligations, Philémon claqua la porte avec le plus bel éclat, en choisissant de s’impliquer et de travailler pour OXFAM. Je ne ferai à personne l’injure de rappeler qu’il s’agit là d’une des organisations mondiales humanistes les plus engagées contre le capitalisme et la mondialisation, pour le partage et l’environnement, avec ce slogan qui dit tout : le pouvoir citoyen contre la pauvreté. L’histoire ne nous dit pas quelle tête a dû faire le papa, lorsqu’il découvrit que son trésor, la prunelle de ses yeux, allait bosser, pour à peine quelques milliers d'euros, parmi des gauchistes pour le bien de tous, alors qu’il avait tout investi pour qu’il devienne l’un des maîtres absolus du business international. Et je céderai (pour une fois !) à la facilité en concluant que polytechnique et Saint-Cyr mènent à tout à condition… d’en sortir ! Merci Philémon, pour ce moment d’optimisme, merci pour la terre des Humains. |
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