Cette fois, j’aurais bien été sur le viaduc de Millau, bloquer pour quelques heures, les actions de M. Eiffage. Plusieurs cortèges se dirigeaient dès potron-minet vers l’ouvrage d’art le plus célèbre de France et le plus haut d’Europe. Objectif : lever les barrières, permettre aux usagers de ne pas payer et accessoirement récupérer quatre ronds pour les caisses de grève, rien de négligeable par les temps de vache maigre qui courent (les temps, car les vaches sont encore à l’étable). Mais je n’avais pas senti Marie prête à franchir le pas et moins encore à sauter à la gorge des poulagas. Laisser la voiture en déshérence sur l’autoroute, respirer le bon air des lacrymos et jouer à la roulette russe avec une boule de flashball, c’est pas son truc à la Marie. Allez savoir pourquoi ! D’autant qu’après les Bassines de Solline et le choix délibéré de Darmalin, le petit méchant flic de Macron, de provoquer la rébellion pour mieux la réprimer dans le sang et le comas, y avait pas vraiment de quoi s’inquiéter, non ?
On à « fait » Mende quatre fois. C’est pas que ce soit moche, Mende. C’est pas pire que Niort en tout cas ! Mais enfin on a l’impression de mieux connaître la ville que M. Suau lui-même, qui ne sort d’ailleurs jamais les jours de manif . Ce qui pour un socialiste pourrait sembler étrange au pauvre fou, croyant encore que les socialistes sont de gauche ! Si l’on était candidat à un poste de guide, on aurait sûrement tenté une cinquième visite de la vieille ville, mais non, là merci, pour notre usage personnel, cela suffira.
Et puis il y avait Saint-Chély d’Apcher. A trente bornes de chez nous, c’est moitié moins que Mende. Et pas ces temps de restrictions, de retraites faméliques, d’usure sous-jacente, c’était la bonne alternative. D’autant que Saint-Chély d’Apcher, cela ne vous dit peut-être rien, mais cela reste un fief du monde ouvrier, de la lutte des classes et du syndicalisme. Malgré le lent démantèlement de l’industrie et de la sidérurgie, il subsiste dans la sous-préfecture lozérienne une belle usine Arcelor qui emploie plus de deux cents salariés. Tiens petite question subsidiaire, savez vous quel est l’actionnaire commun au Viaduc de Millau et à l’usine Arcelor de Saint-Chély ? Faux ! C’est BlackRock. Un gestionnaire d’actif très cher au coeur de Macron, un peu comme un autre Américain, McKinsey, car attention c’est un grand sentimental le président Français.
Au temps où nous étions encore un peu indépendant de quelque chose et surtout pas sous l’autorité des vendus du libéralisme mondialisé, Arcelor-Mittal, c’était Usinor. On s’y brûlait déjà les yeux et les bronches, on en chiait aussi pour des salaires de misère, mais enfin c’était notre outil et notre production et surtout, on pouvait négocier !
Alors il m’a semblé que pour changer un peu, c’était là qu’il fallait aller pour marquer le coup et soutenir des camarades méritants et forcément en demande de solidarité. Nous y sommes arrivés à 13 heures et ça sentait plus la merguez que le soufre ! Le gilet jaune en somme, sauf que là les gilets étaient plutôt orange. Et l’orange, c’est la couleur de la CFDT. Bon tant pis ! Depuis que l’on connaît les liens et surtout les idéaux communs de Laurent Berger et de Macron, depuis que l’on sait aussi que les salariés du privé n’ont rien trouvé de mieux que de placer ce syndicat en tête, on a encore perdu - s’il en restait aux rêveurs de mon espèce – nos illusions.
C’est que cela fait des semaines que des ouvriers d’Arcelor-Mittal sont en lutte et attendent de pouvoir négocier dans une branche où il y a grand besoin de réévaluer les salaires et d’abaisser l’âge de la retraite, plutôt que de l’augmenter. Je m’attendais alors à voir des cordons de CRS, des canons à eau et des trucs un peu trash, qui font bien trembler. De quoi regretter en somme de ne point être sur le pont, du côté de Millau. Tu parles ! On a trouvé quatre pépères en train de siroter une bière et faire cuire trois saucisses. De temps en temps y en a un qui appuyait sur la corne et pi… plus rien ! Pas un slogan, pas un cri de révolte ou au moins d’indignation. Lorsqu’un bahut passait ou une BMW avec un gros bourge dedans, on le saluait non sans déférence.
Putain, on n'était pas plus de cent, je me suis dit y a un truc qui va pas. Je suis allé voir le « patron » du rond-point. Il était de la CFDT. En un mot, j’ai eu la réponse à une telle inertie, pas loin de ressembler d’ailleurs à une douce soumission. Mais enfin, journaliste un jour, journaliste toujours, j’ai voulu essayer de comprendre. Je me suis approché du type et je lui ai dit que j’aurais aimé l’interroger un peu. Il m’a demandé qui j’étais, le regard oscillant entre mépris et suspicion. J’ai tenté de lui expliquer et là, m’a posé la question typique de la CFDT macronisée : « Vous n’êtes pas politisé ? » (car c'est vrai que la lutte que les Français mènent depuis trois mois, n'a rien de politisée... bien au contraire !!!)
Interloqué, j’avoue que j’en ai bredouillé, tergiversé, répondu que … euh, non !… pas spécialement… Il m’a demandé d’attendre, le temps qu’il boive son café… Et moi qui ne l’avais toujours pas bu… j’en ai profité pour me tirer de cet endroit qui, mieux que partout ailleurs sans doute, symbolisait la fin de l’unité syndicale, le dernier acte du combat et des illusions.
Car, par de regret ! Cela a été tout ce qu’il y a de plus calme à Millau. Et à Mende, cela a forcément marqué le pas. Bref on aurait aussi bien pu rester à la maison. Puisque tout est fait pour ça et que cela va fatalement arriver. Berger (Laurent) va pouvoir négocier son entrée au gouvernement aux côtés de Bergé (Aurore), Martinez va remettre son bleu de travail et visser toujours le même petit boulon, les flics vont retrouver leur poulailler où il vont se remettre à glander, ce qu’il font le mieux lorsqu’ils ne vous collent pas un PV pour excès de vitesse.
Mais après les Gillet jaunes, le combat des retraites, soyons en sûrs camarades, y aura bien de nouveaux motifs de colère et de mobilisation. Et là, vous allez voir ce que vous allez voir… On l’atteindra enfin … ce putain de Grand Soir !
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Vous pouvez regarder la vidéo consacrée au rassemblement de Saint-Chély d'Apcher (Lozère) mais je ne le conseille pas aux déprimés !
https://www.youtube.com/watch?v=koz75WPTcXQ
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