mercredi 7 avril 2021

 



06.- OPHTALMO... DE CAMBRONE.- Je viens de passer un mardi de consultation, compliqué. Alors j'en entends d'ici : " Oui mais on n'a pas idée d'aller habiter dans de pareils endroits à nos âges, gnagna - gnagnan..." J'aime bien leur couper l'herbe sous les pieds à ceux-là qui se permettent de juger mon 'inconscience", eux si petits, si engoncés dans leurs principes et leurs précautions. Eux qui préfèrent lutter contre la mort, plutôt que de privilégier leur qualité de vie... Alors oui je suis dans un désert médical, je vous emmerde et cela ne va pas m'empêcher de concéder qu'il y a aussi un paquet de cons à Rodez.
J'ai donc passé une bonne partie de mon après-midi à chercher un toubib dans la préfecture aveyronnaise. Et notamment un anesthésiste. Mieux que ça, en étant sur place devant le secrétariat "débordé" (on était trois !) on refusa de nous prendre rendez-vous. Je vous rappelle que c'est un anesthésiste. Pas un euthanasiste ! D'ailleurs, vu que par conviction absolue j'aimerais y faire appel le moment venu, cela me promet quelques belles crises de nerf avant la libération…
Il ne me reste plus qu'à souhaiter que les malotrus, les mouligas, les goujats - je ne sais plus comment les définir -, qui manient le curare, n'auront pas lu Macronique, sans quoi ils seraient bien foutus de forcer la dose et de satisfaire à mes doléances finales bien avant l'heure. Encore que, là aussi, il me reste un peu d'espoir vu qu'ils ne sont pas aussi performants que ça dans l'art de l'endormissement définitif. Y a qu'à demander à Chevènement ! Mais hélas Lagardère (Jean-Luc et non le mousquetaire, ni le raté ) pourrait témoigner, quant à lui, du contraire.
J'écris cela non pour tenter de sauver ma peau au prochain passage sur le billard, mais parce qu'il y a pire. Pour de bon. Cela se passait deux heures plus tôt, toujours en Rouergue, mais cette fois pas à l'hosto voisin. Marie m'avait demandé de passer au cabinet d'ophtalmologie afin d'y prendre rendez-vous pour nous deux.
Voici deux ans que l'on essaie de joindre un spécialiste de la vision. Car non seulement nous avons changé de région, mais celui que nous consultions dans le Var partit en retraite bien après l'âge légal. Enfin normal ! Et que je t'appelle à Graulhet, à Gaillac, à Marvejols, à Mende ... et y a jamais person qui y répond ! Nino reviens, ils sont devenus sourds ! Mais peut-être que les ORL sont débordés, où aveugles j'y comprends plus rien...
Missionné par mon épouse, j'avais donc la pression, forcément ! Je trouve sans peine le cabinet du docteur Fastjaune (c'est curieux comme pseudo, mais les anglophones retrouveront rapidement son vrai nom) et parviens à me garer, non loin.J'avais même le disque ad hoc pour la zone bleue. Je me suis auto-congratulé : toi mon coco tu es sur la bonne voie, rien ne pourra te résister aujourd'hui !
C'était au troisième. Je sonne. Y a pas écrit "sonner et entrer" et comme personne ne me répond, je re-sonne. Rien. Alors j'entre. " Bonjour messieurs-dames." Toujours pas de réponse. Peut-être le docteur Fastjaune emploie-t-il des sourds-muets, ce qui serait tout à son honneur ? Mais non, l'une des deux secrétaires (voilà un cabinet d'ophtalmologie où il y a deux secrétaires pour un seul docteur, ces femmes mutualisent leur toubib en quelque sorte !) parle au téléphone et même abondamment. Là, je possède au moins la preuve qu'il y a bien le téléphone. Car depuis deux ans que j'appelle les uns et les autres, le doute était aussi permis.
Sa collègue à côté explique depuis déjà dix minutes à un type qui n'en a décidément plus rien à foutre et n'aspire qu'à se tirer de là, en quoi consiste la future intervention, la mutuelle, les gouttes, le bon de transport, et patati et patata.
L'autre pose le combiné du téléphone, pour expliquer à sa voisine que Mme Untel à un problème de lentilles, mais qu'il n'y aucun créneau pour la recevoir. " Comment on fait ? " " J'sais pas !". Alors, elle reprend mme Untel pour lui dire qu'il n'y a rien avant la fin avril. L'autre insiste. Et comme ça doit être la femme du juge, du maire ou du préfet, la secrétaire repose le téléphone : "Non mais là vraiment il faut trouver une solution..." L'autre a alors la Révélation (avec un grand R s'il-vous-plaît) : " T'as qu'à la caser entre deux..." Alléluia  ! il me semble entendre les cordes de Haydn. We are Champions ! On a retrouvé Freddie.
Durant les dix minutes de sketch dans lequel je n'ai pas rajouté la moindre cuillerée de miel, pas une seule fois l'une des deux femmes ne m'adressa un regard. Ne parlons pas d'un petit mot de courtoisie, me demandant de les excuser, de bien vouloir patienter. Non, pas un seul regard, histoire de me rassurer sur ma présence. J'ai même failli me demander à haute voix si je n'étais pas transparent. Mais qui sait si leur premier mot à mon égard n'aurait pas été injurieux, j'ai préféré ne pas tenter ma chance !
J'ai oublié de préciser, entre autres détails que le deuxième téléphone, puis le premier dès lors qu'elle raccrocha, n'arrêtèrent pas un seul instant de sonner. CQFD. Celle du long appel se leva, me passa devant le masque, marmonnant à la cantonade qu'elle allait installer un patient. Oui parce qu'ici il n'y a que des patients. Très patients.
Mais ce ne sera pas moi. Car lorsqu'elle revint et s'assit, elle leva les yeux vers moi :
" Oui..." Voilà un oui qui en disait long. Du genre " qu'est-ce que tu fais encore là, toi, tu vois pas qu'on travaille ?
" Euh, ben, d'abord bonjour madame - ah ça, ces petits rappel à la politesse élémentaire, elles aiment pas ! - je souhaiterais un rendez-vous s'il vous plaît.
"Comment un rendez-vous, on vous a décalé le vôtre ?
" Ah ! non, non, c'est plutôt que je viens de changer de région et que je n'ai plus d'ophtalmo, mais enfin ce n'est pas grave, nous avons le temps...
" Ah ! mais non, ce sera pas possible. Le docteur a été absent six semaines, nous n'avons rien avant l'année prochaine et même, nous n'ouvrons plus de dossier…"
Plutôt que de laisser éclater ma rage et de dire leur fait aux deux donzelles, non parce que le système libéral est exsangue, mais parce que ce sont deux gougnafières, j'ai préféré leur délivrer un : Merci infiniment ! auquel l'une répondit sans se démonter : " Avec plaisir ".
Rentré bredouille à Nasbinals comme un vulgaire jour de pêche, je me suis précipité sur internet pour tenter de comprendre ce qui pouvait justifier pareille pénurie d'ophtalmos ? Dans la mesure où il me semble qu'il y a tout de même pire comme métier. J'avoue que l'examen du fond de l’œil d'un salaud, la proximité d'un client venu de la campagne fâché avec le savon, voire même un jet de pue en cas de conjonctivite aigue ne sont guère ragoutants. Mais enfin on connaît des femmes de salle qui nettoient la merde des malades, des éboueurs qui enlèvent les nôtres devant la porte pour pas un rond. Ah ! mais c'est ça, je pensais plus au camarade Hippocrate, même si une consultation nous coûte un œil, ils trouvent peut-être qu'il ne leur en reste pas assez !
Donc sur internet - de source sûre, car c'est cela qui compte -, j'ai pu constater que la moyenne des revenus mensuels de cette spécialité était de l'ordre de 10 000 €. Alors je sais pas vous, je me suis toujours demandé ce qu'on pouvait foutre avec 10 000 € tous les mois ? Mais peut-être pire, comment un être humain normalement constitué pouvait accepter de percevoir 10 000 € lorsqu’on sait qu'il y a dans le monde une majorité de femmes et d'hommes qui n'en perçoivent pas le centième ?
Et là, j'ai eu la révélation ! Il se trouve que le même jour j'ai pu avoir un rendez-vous rapide, avec beaucoup de courtoisie et de prévenance, chez un gastro-entérologue. Pourtant, enfoncer des tuyaux toute la sainte journée dans des trous du cul, ça ne me paraissait pas, à vue de nez (et le mien est sensible !) tellement plus gratifiant ! Seulement j'ai lu suivant les mêmes sources, que les "gastros" touchaient en moyenne 15 000 €.
Alors c'est pas compliqué. Pour espérer retrouver des ophtalmos et la vue, il suffit de les augmenter de cinquante pour cent ! Ou faire la Révolution.

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