8 octobre 2020.- A MON PAPA, MICHEL. BRAVE ET HONNETE HOMME - Tu te retournes, y a personne. On te coupe tes racines au ras des pieds. Le vieil arbre maintenant, c’est toi. Prêt à tomber. Ou pas. Ça dépendra de toi. Enfin de la chance. Du petit bonheur ou d’un grand coup de faux.
C’est un vertige, l’absence de ses parents. Il nous ont tout donné et puis, en principe, on s’est évertué à leur rendre tout ce qu’on pouvait. Jamais autant, ils ne vous le demandent pas. C’est un vertige d’être le prochain. Dure loi à laquelle on tient, car on peut tout accepter d’une vie sauf de voir disparaître l’un de ses enfants. Nous en avons tant vu, tant plaint. Tant redouté aussi, on y a tant pensé...
C’est un vertige, l’absence de ses parents. Il nous ont tout donné et puis, en principe, on s’est évertué à leur rendre tout ce qu’on pouvait. Jamais autant, ils ne vous le demandent pas. C’est un vertige d’être le prochain. Dure loi à laquelle on tient, car on peut tout accepter d’une vie sauf de voir disparaître l’un de ses enfants. Nous en avons tant vu, tant plaint. Tant redouté aussi, on y a tant pensé...
Enfin voilà, on se retourne… On redit toujours pareil. On sait que cela va arriver, on s’y prépare, on voit sa mère, son père s’affaiblir, se réduire et au bout de tant de souffrance morale, d’une attente stérile voire inhumaine, on finit par l’espérer.
On sait que cela va arriver et va t-en voir pourquoi, on n’est jamais prêt. Un coup de téléphone. Leila. « Je suis désolée, monsieur Larrue, votre papa vient de mourir » Bam ! Elle y a mis le ton, la douceur, les formes. Mais bam ! c’est violent. Enfin c’est fait. Tous les autres coups passeront mieux. Tu vas encore avoir à faire à un docteur idiot, un curé obtus. A moins que ce soit Jean-Marc, un vieux sage barbu...un ange presque ! Mais chez nous à Graulhet se sont les employés des pompes funèbres qui rattrapent le coup dans de telles circonstances. Ils ne se contentent pas de se débarrasser du corps en quelques jours, il vous accompagnent délicatement sur un chemin où l’on se sent perdu.
D’un côté, tu te dis que c’est tout de même mieux ainsi. Que cette vie prolongée dans une nébuleuse, une confusion, une lassitude, peut-être aussi une sorte d’amertume inavouée, manquait de sens et même d’humanité. Il n’a pas souffert. Physiquement. Pas trop. Pas trop longtemps.
Ensuite il y a cette petite silhouette un peu jaune, terriblement palote, se croisant immuablement les mains comme si l’on ne pouvait quitter la terre qu’en joignant ses mains. On l’embrasse, parce que si vous n’embrassez pas un père même mort, qui pourriez-vous jamais embrasser d’autre ? La sensation est pénible. Ce front lisse, glacé comme du marbre...
Dans la chambre funéraire où par chance, les familles peuvent désormais laisser reposer leurs proches, on ne peut s’empêcher de fixer ce corps. Immuablement il finit par s’animer. Il bouge comme si, impatient, il voulait s’envoler. Son âme peut-être… L’avez-vous remarqué cela ? Ce léger déplacement, ce troublant chancellement. Il paraît que ce sont les lumières artificielles qui jouent à troubler l’imagination et à animer cruellement ce qui est à jamais figé.
Lorsque le premier part, c’est une douleur nouvelle qu’on ne soupçonnait pas. Maman avait souffert de sa dépression et parfois fait souffrir autour d’elle. Elle en fut bien malheureuse et nous ne lui en voulions pas. Mais l’a t-on assez comprise et aimée ? Celui qui accepta tout, pardonna chaque fois, la chérissait bien au-delà de ce qui semble imaginable, son mari, notre père, oui !
Cela se révéla à nos yeux d’enfants ayant déjà fait leur vie ou, en tout cas, en ayant déjà amplement usé le crédit. Notre mère perdit sous les coups de boutoir d’AVC le contrôle de l’existence et son bon entendement. Malgré ses quatre-vingt-dix ans, son handicap, sa fatigue, papa redoubla de présence et de prévenance. Acceptant des risques, en voiture et dans ses déplacements pédestres tout aussi compliqués. Elle était certes dans les meilleures mains possible en EHPAD à Briatexte, mais il ne pouvait se résoudre à la laisser seule plus de deux jours. Qu’elle puisse se sentir abandonnée. Car son dilemme, plus ou moins avoué, accepté , c’est qu’il refusait aussi de se laisser enfermer dans cette maison symbole à ses yeux, de toutes les privations.
Lorsque maman succomba quasiment dans ses bras, papa se partagea entre le soulagement de ne pas être parti avant, de ne pas l’avoir abandonnée et cette incommensurable déchirure que figure la fin d’un couple dont le chemin commun fut long de prés de soixante-dix ans. Ils avaient poussé si loin leur amour, leur complicité, leur dépendance que celui qui restait se retrouverait fatalement en enfer.
Ce matin, je sors de cette maison planté comme un palais de souvenirs merveilleux au milieu d’un parc de six mille mètres carrés. Le silence demeure remarquable, trop peu d’oiseaux. « Les merles se font trop rares depuis que la haie de buis a pris la maladie » me disait-il. J’emprunte l’allée circulaire. Cela fait trente ans qu’en marchant autour de la maison, naguère le soir en fumant ma dernière clope, j’étais pris d’un frisson, parfois d’un sanglot en pensant qu’un jour cette maison perdrait ses hôtes si chers.
Je vais vers les routes étroites où maman s’éloignait parfois, des heures durant, en contemplation de cette nature qu’elle avait fait sienne. Notre ressemblance est frappante et elle n’est pas que physique. Je ressens à l’évidence tout ce qu’elle ressentait. Mais là, c’est différent. Inexplicable. De la côte Bouriette, à Bras, au Prebengut, il me semble que je découvre tout. Le décor n’est plus le même. Ce sont surtout les détails qui me sidèrent. Les courbes harmonieuses des coteaux de labours, les futées qui valsent à l’horizon, les chemins qui se nouent puis s’ouvrent et me tendent les bras, la ville en bas, ses clochers, ses usines de briques. Ce ciel changeants et clairs, rougeoyant et d’un bleu troublant sur le lointain océan que mes parents contemplaient à s’en crever les yeux… Il y a partout de la douceur, une beauté dépouillée, celles des meilleurs souvenirs qui vous étreignent.
Quand on pense à tout ce que l’on a vécu en ce lieu avec des parents généreux, plein d’amour, c’est un torrent d’émotion, un mélange de chagrin, de gratitude qui déferle et vous emporte le cœur. Ça y est, cette fois c’est foutu. Voici la nostalgie. Celle-là, suivant comment vous êtes faits, elle peut vous anéantir.
Vite, il faut que je rentre. Et là, sans que je m’en sois méfié, le voici ! Planté. Un mètre soixante. Cinquante kilos appuyés sur une canne, dans sa robe de chambre en laine beige. « Tu t’es bien promené ? ». « Fa pas caout abei ! ». « Tu as trouvé des pisse- queues ? » « Les répounsous sont sortis ? ». J’entre dans la cuisine. L’ombre frêle de mon papa s’est évanouie. Une boule au fond de la gorge. Même un verre d’eau aura du mal à passer.
Dans la salle à manger, le lit médicalisé dans lequel il aura parcouru ses dernières tempêtes intérieures, considérablement affaibli, déconnecté du temps mais probablement désespéré, n’est pas encore évacué. Je m’assois, non je m’effondre - dans son vieux fauteuil usé lui aussi, mais qui aurait pu le supporter dix ans encore. Figé. Affligé.
J’ai cru donner assez. Tu parles ! Je le lui ai dit quand que je l’aimais ? Et la main, lors de ma dernière visite, je la lui ai tenue combien de temps ? L’ai-je bien assez regardé dans les yeux ? Assez écouté ? Je l’ai ma réponse. Elle me pèse. Je vais me la charrier pour le restant de mes jours.
Comme tous les enfants du monde, adolescent, jeune adulte, il y a bien longtemps, j’ai voulu tuer le père ! Aujourd’hui, je le ressusciterais bien.
J’ai tant à lui dire. Tant à me faire pardonner...
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Texte de l'hommage à mon père écrit et lu lors de ces obsèques, le 7 octobre 2020
A Papa ,
Et les remerciements c’est délicat parce qu’on finit toujours par oublier quelqu’un. Mais je sais que l’on ne se trompera pas si, en le prenant par la fin, on s’incline devant le magnifique accompagnement des auxiliaires de vie de « Jamais seul » : Djamila, Leïla et Roxane. Leur présence fut si forte, en prévenance, en élégance, en compassion qu’elles adoucirent considérablement la fin du chemin que papa dut emprunter avec en point de mire cette issue qu’il redoutait particulièrement.
Associer dans cette reconnaissance définitive celles et ceux qui avec une grande patience, un dévouement absolu ont entouré papa - et maman aussi – de leur présence et souvent de leur affection. Rosie la cousine qui resta non loin d’eux tant qu’elle le put, Rose de Mazamet toujours soucieuse d’eux, les voisins Monique si sensible à leur sort et Jean-Claude l’homme à tout faire, Céline et Jérôme toujours à leur écoute et leur disposition. Et puis évidemment Martine et Solange qui, plus que le ménage firent entrer de la joie chez nos parents et chez papa devenu seul pour la dernière. Ce sont des gens qui ont compté plus que personne ne peut l’imaginer dans le soutien moral qui ne manquait pas de défaillir, souvent pour de bonnes raisons. Merci aussi à la maison de retraire Bellevue de Briatexte qui a tant fait pour maman bien sûr mais aussi pour papa.
D’autres amis précieux y compris à la belote parmi ceux qui sont partis (Maté et Henri) et ceux qui restent, les Galinier, les Calmettes, les Mauriés plus loin les Rochas, les Bocquet, Yves, les voyageurs ; ceux de la revue Arc en ciel ou il prêta sa plume, Henri Manavit Gabriel Rouyre, Jean Chabbal et puis les cousins bien sûr Nicole, Jacques leurs enfants, nos amis Marinette et Claude, nos beaux parents Geneviève (partie juste après maman il y a un an) et René, Lucienne et Emile (qui fut le premier à nous quitter) et… c’était évident j’en oublie... Mais pas les employés des pompes funèbres qui à Graulhet et pour ce que nous pouvons en juger sont d’une grande compétence et cordialité. Et puis l’abbé Jean-Marc Vigroux, ce n’est pas parce qu’il est là, mais nous avons apprécié son accueil et son esprit d’ouverture, sa bonté.
Merci à eux car ce sont des moments où la gentillesse compte double...
Papa n’est donc pas parti seul, sauf peut-être à la toute fin lorsque les forces disparaissent et que l’on a déjà entamé parfois à son corps défendant, le grand voyage en solitaire .
Papa a réalisé son vœu de ne pas s’en aller avant maman et de ne pas la laisser ainsi sur terre, tellement vulnérable. Nous avons découvert, nous les enfants mais aussi le cercle familial plus large, l’incroyable force de l’amour de ces deux êtres, après presque soixante dix ans de vie partagée et de l’estime qu’ils se portaient.
Papa fut frappé à 16 ans par une arthrite mal diagnostiquée, puis mal soignée à Font-Romeu en pleine deuxième guerre mondiale. Lorsqu’il sortit du sanatorium puis de sa convalescence à Lacaune il avait perdu l’usage fonctionnel de sa jambe gauche. Mais c’est sur elle – qu’il appelait sa patte raide – qu’il s’appuiera tout sa vie, pour faire travailler deux fois plus celle de droite.
Papa fut un résistant. Autodidacte bien que fièrement diplômé du certificat d’études dont on ne dira jamais assez la valeur qu’il revêtait alors, il trouva sa voie dans les chiffres qui lui ouvrirent une belle carrière de comptable dans les fameuses mégisseries, du Cuir moderne à Brieussel en passant par Armengaud. Cette obstination à vivre comme s’il ne souffrait d’aucune infirmité, à surmonter la douleur, les épreuves sans jamais se plaindre, lui valut aussi de trouver le bonheur conjugal avec une belle femme, notre mère. « Il en faut du talent pour goûter au bonheur » chante Reggiani que nous aimons tant et que nous écouterons toute à l’heure.
Papa fut courageux. Nous nous souvenons, Bernard et moi, des matins souvent frisquet et des soirées pluvieuses où il démarrait à grand-peine son vélo-solex en pédalant d’une seule jambe grâce à un pignon libre et s’éloignait en pantalon de ville, pinces aux chevilles, veste et cravate sous une gabardine. Tant bien que mal il cultivait aussi un beau jardin potager à la Vernière et une fois la retraite obtenue, se lançait dans l’entretien d’un plus vaste terrain. Il le parcourait fièrement vilipendant les lapins, discutant avec les merles jusqu’à ces tous derniers mois où les forces l’abandonnèrent brusquement.
Papa sut profiter de la vie. Du Canada au Brésil en passant par le Sénégal, la Russie, la Norvège, de grands périples aériens et de longue traversées maritimes, il étancha en compagnie de maman qui lui fut d’une aide précieuse, sa soif d’apprendre, de découvrir, de raconter. Mais c’est en voiture - aménagée en conduite automatique dont il fut un pionnier en France à bord d’une 4 chvX- qu’il passa peut-être le plus de temps à voyager. Nous les vîmes très souvent à Toulon où il aimait nous retrouver et profiter des petits-enfants, - plus tard des arrières petits-enfants qui en firent leur pépé trompette - toujours très affectueux à leur égard. Mais il n’est pas une région de France qu’il n’ait visitée et souvent revisitée. Il était capable de s’y arrêter et d’avoir beaucoup de mal à repartir surtout en présence de parc à huîtres et de restaurant de « marée » comme il disait.
Papa n’aura finalement connu qu’un échec notoire. Il s’était fait un challenge de marcher sur les traces de Suzanne Azémar, d’atteindre les 100 ans si ce n’est les 104 de sa chère cousine. Mais nous rêverions tous déjà de parvenir à 95 avec un si joli parcours.
Papa s’en est allé, sans doute avec la conscience essentielle du devoir accompli et d’un beau chemin parcouru. Nous aurions aimé être là dans ses derniers instants, lui tenir la main pour l’aider à franchir le rideau. Mais Bernard l’accompagna l’avant veille et je me souviens avoir glissé ses dernières palourdes, il y a quinze jours, dans cette bouche qui n’acceptait plus rien qu’un peu d’iode et d’amour.
Salut papa, ici tes amis, ta famille, tes enfants, petits enfants et arrière petits enfants te remercient et te félicitent pour ce que tu as représenté et ce que tu leur as donné. De gentillesse, de générosité et d’humour aussi. Et nous sommes persuadés que ta maman Cécile, ton père Jules, ton épouse Fernande et ton frère Camille, se font une immense, une indicible joie de te retrouver.
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