4.- POUR PRENDRE LE TRAIN, ILS S'HABILLERENT EN BLEU ! -(dixième épisode – suite du 28 mai) - " Savez-vous que cette manifestation était interdite ? " interrogea vivement le policier qui tenait Jiao, les bras bien serrés derrière le dos sur les barreaux de la chaise, par des menotes.
- 打扰了,特工先生,但我是中国人,我不知道你在说什么。 Ah,! c'est vrai, vous êtes nuls en chinois vous. C'est pourtant pas compliqué. Mais le flic lui, ne cherche pas à comprendre. Ah ! c'est le bouquet s'étouffe le brigadier. Toi ma cocotte on va bien s'occuper de toi, tu peux me faire confiance...
Sortant de l'un des bureaux consacrés aux interrogatoires du jour, Tramaque hèle ses collègues : " Vous savez pas la meilleure ? la petite là-bas elle est mignonnette, mais elle me prend pour un con. A ma première question elle m'a répondu dans un drôle de charabia. Et elle insistait encore, après elle m'a dit "moi pas français, moi no comprendre". Je crois qu'elle est bonne pour outrage et comparution immédiate, on va bien lui trouver un jet de quelque chose..."
Il ne termina pas sa phrase, car le lieutenant et deux autres policiers se tenaient là, à côté de Liang, stoïques et interdits...
- C'était du chinois.
- Quoi ?
- Le charabia dont tu parles, c'est du chinois. La jeune fille et notre ami, là, ils sont Chinois. En voyage de noce. Ils se sont habillés en jaune ce matin, car ils s'habillent tous les deux de la même couleur. Et ils ne savaient pas que le jaune était interdit, le samedi sur les Champs-Élysées ! Le jeune homme se montre compréhensif, il a un peu mal aux côtes, mais Flabol qui a une nièce qui fait "médecine" l'a examiné. Il pense que ce n'est pas trop grave, un bel hématome voilà tout ! Dis-moi la petite là, tu nous l'as pas trop guingassée ?
- Non chef, tu me connais, j'ai respecté le règlement...
Certes, mais enfin lorsque Jiao retrouva Liang elle avait les yeux bien rouges et se mit à pleurer de bon coeur. Cette fois elle est vraiment guérie, pensa le mari, partagé entre soulagement et colère. Il lui demanda si elle avait été maltraitée.
- Pas vraiment mais j'avais les bras qui me faisaient très mal et puis j'ai eu peur, je n'ai rien compris...
Il y avait de quoi... ne pas comprendre ! Des manifestations, depuis Tian'anmen, il n'y en avait jamais eu chez eux. Et en 1989 ils n'étaient pas encore nés. Ils avaient bien entendu parler de ce soulèvement, mais leurs parents, les enseignants, y compris lorsqu'ils furent étudiants, minimisèrent son ampleur, étant bien entendu que ceux qui avaient commis ces actes de rebellions étaient des contre-révolutionnaires, des ennemis du peuple au solde de l'occident capitaliste. Bref que c'était un accident, certes regrettable car il avait eu 286 morts, mais ils l'avaient bien cherché. Un jour Liang, francophone, presque francophile et son épouse, apprendraient que le sympathique président Ding Pingxiao avait fait tirer sur des étudiants, des ouvriers, des opposants pacifistes et qu'il y avait eu en réalité, autour de 10 000 morts et autant d'arrestations. Que la contestation dans un état aux usages moyenâgeux était matée pour au moins dix ans ! Et cela en fait trente que la Chine ne manifeste plus ailleurs que chez les décadents occidentalisés de Hong-Kong. Ils l'apprendraient et auraient-ils envie, dés lors, de rester dans leur pays ?
L'une se massant les avant bras, l'autre traînant le dos ils rentrèrent à pied à l'hôtel du Louvre. C'était un soirée presque aussi triste que la première, sauf qu'ils ne riaient plus. La bithérapie - plaquenil, azithromycine - de Luca Rabin semblait fonctionner à merveille. Jiao s'inquiéta même de ce qu'elle avait essayé de rire pour se détendre, sans y parvenir.
- Et si avec ce traitement, on ne riait plus jamais ?
Liang failli lui répondre que ce n'était pas bien grave, car en Chine ce n'était pas obligatoire de rire, bien que ce soit actuellement très en vogue. Mais ça ne l'aurait pas faire rire non plus !
Cependant, elle esquissa un joli sourire lorsque son mari souleva le lourd couvercle d'argent sur une assiette artistiquement montée avec sa cuisse complète de canette confite surmontant quelques cèpes bouchons comme une évasion vers les étoiles gastronomiques. Le fumet, toujours le même, forma un tourbillon subtil aux narines frémissantes bien qu'étroites de nos hôtes qui, sans même l'avoir visitée, eurent instinctivement la sensation de se retrouver dans une cour de ferme périgourdine, cernés de canards musqués et râblés. Les pommes sarladaises rutilaient tout autour sur une dentelle de roquette craquante. Auparavant elle avait adoré cette salade de crabes des neige et son cocktail coeur de palmier-avocat, le tout relevé par une sauce légère et délicate.
- Et c'est ça que tu t'es envoyé pendant que je riais de sommeil !
- Non, à ce moment là, tu dormais de rire...
Parfois, il suffit d'une belle assiette pour que le bonheur resurgisse et c'est en cela que nous sommes en France, grandement privilégiés à l'exception des abonnés à Picard ou Findus - ce dernier étant plus particulièrement prisé des gilets jaunes - !
Bref Jiao fut rassurée et ils rièrent, chahutèrent tant, qu'un verre de Cabardès échoua sur le parquet. L'ayant trouvé à leur goût et déjà convertis aux effets magiques d'un bon vin rouge sur un menu du terroir, ils commandèrent une deuxième bouteille. Ce vin épais et alcoolisés ne convenait pas forcément aux fraises - chantilly qui complétaient le repas, mais ses reflets ambrés sous la lumière chaude, en soutenait un peu plus la tentation. Grisés par ce repas d'excellence ils allèrent au bout de la bouteille sans modération, mais avec délectation.
Ils ne prirent même pas la peine de faire l'amour, se tinrent la main et se jetèrent dans les bras de Morphée, le compagnon de Dionysos plus que d'Éros... Enfin, je me comprends ! Dès l'aube les deux alarmes des téléphones se déclenchèrent simultanément. Car évidemment le couple ne voulait pas revivre le stress d'avant-hier lorsqu'ils avaient failli manquer le train qui n'était pas parti. La veille, ils avaient pris le soin de consulter le site de la SNCF sur les conseils de leur agence. Et oui, le train pour Mulhouse était bien programmé ce matin à 8 h 52.
Ils prirent donc cette fois le temps de soigner leur toilette, de refaire leurs valises. Ils s'habillèrent tout en bleu en espérant que cette couleur n'était pas proscrite dans les trains. Tant qu'il y était, Liang avait fait des recherches sur internet mais n'avait rien trouvé qui puisse éveiller leurs craintes. Cela ne les empêcha pas de rouler en boule leur tee-shirt et leur chemisette jaune dans la poubelle, considérant que ce n'était peut-être pas ici la couleur de la chance et qu'il convenait de ne pas provoquer un destin décidément châtouilleux question coloris. Sur place dès huit heures, ils savourèrent l'un de ces "grands crèmes" dont on leur avait tant parlé et qu'ils avaient adopté dès la première gorgée, non sans avoir déploré tout de même un certain empressement du transit intestinal. A moins qu'il n'eut s'agit, là encore, d'un concours de circonstances. Il leur avait aussi fallu apprendre à se munir de monnaie car ici, même les toilettes étaient payantes. Illustration hallucinante, tout de même caractéristique et éloquente d'un système capitaliste où l'on ramasse du pognon avec tout et n'importe quoi, y compris l'envie de chier. Mais cela n'empêche nullement les indigènes jusque dans leurs besoins les plus intimes, de se jeter comme un seul homme dans les cabinets privatisés aussi bien que les urnes libérales. Le résultats étant, sur le papier, a quelque chose près, le même ! Tiens, de bon matin, ça soulage presque autant que de satisfaire une envie de faire "caca".
Ils y allèrent d'ailleurs aux toilettes du Terminus et furent bien inspirés. Jiao aurait bien attendu d'être dans le train. Mais alors elle aurait frisé la tragédie. Car si les informations du site ferroviaire étaient exactes la veille, les négociations de la nuit entre la direction et les syndicats, tournèrent au fiasco à deux heures du matin et trois des cinq syndicats adoptèrent le principe de la poursuite de la grève.
Tout n'était pas parfait à Wuhan, se dirent les amoureux en marchant dare-dare vers l'agence de voyage, mais s'il était effectivement interdit de penser et pire encore de s'exprimer, non content de pouvoir se soulager à tout moment et pour par un rond, on pouvait aussi prendre le rail et parcourir le pays les yeux fermés.
Tout n'était pas parfait à Wuhan, se dirent les amoureux en marchant dare-dare vers l'agence de voyage, mais s'il était effectivement interdit de penser et pire encore de s'exprimer, non content de pouvoir se soulager à tout moment et pour par un rond, on pouvait aussi prendre le rail et parcourir le pays les yeux fermés.
- Nous sommes au courant leur indiqua la responsable ! Nous sommes vraiment désolés. Cela fait deux mois que ces fainéants nous empêchent de réaliser nos affaires. Ils ne font rien et en veulent toujours plus. Ce pays va mal, on est plus libre, ce sont des communistes !
Jiao et Liang se regardèrent interloqués. Il leur semblait pourtant que pour les trains, le communisme ça fonctionnait plutôt bien.
- Tant pis ! vous allez prendre un taxi, mais je vous averti ce n'est pas compris dans les clauses de vente, vous aurez un petit supplément...
Nous en resterons là pour ce dixième épisode. Oui je suis d'accord on n'a guère avancé. Je crois même que nous en étions a peu prés au même point la semaine dernière. Mais s'il faut que je tienne plusieurs années, autant ne pas brûler les étapes ! Et reconnaissez que nous aurions même pu reculer. Tandis que là avec un taxi, nous disposons presque de l'assurance que nos deux petits chinois vont finir par rejoindre la capitale du sud-Alsace. Et là, à Jiao la joie de retrouver la grande communauté des Chrétiens joyeux, tandis que Liang filerait vers Bergame pour s'extasier devant des crétins footballeurs.
Allez restez calmes et optimistes. A la semaine prochaine. Et si éprouvez une excitation inhabituelle, de la fièvre le samedi soir et des fous rire en lisant Macronique, appelez vite le 15 et restez chez vous en attendant l'arrivée de masques venus de Chine.
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