Ce matin nous avons été plusieurs à nous appeler ou à nous écrire. Non pour nous rassurer mais pour nous soutenir. Il y avait des larmes, de la colère, pas encore de résignation. J’y viendrai. C’est que, quelques soient les chemins empruntés, de la gauche issue de la Résistance ou de la droite moralisée par le Gaullisme, nous avons grandi et vécu - nonobstant les soubresauts et incohérences de la quatrième République - sur un socle de valeurs granitiques : la Démocratie jusqu’au bout de ses limites ; la tolérance qui n’excluait pas l’âpreté du débat ; un certain équilibre politique parfois proche de l’harmonie. Nous ne le ressentions pas forcément dans la réalité temporelle, mais cela nous est mieux apparu au révélateur de tout ce qui a rejoint depuis, l’Histoire. La gauche avec ses nuances, quelques fois ses divergences profondes, militait essentiellement pour la justice sociale, contre les profits et l’arrogance des classes dominantes, contre l’hégémonie du bloc capitaliste régnant en maître sur le reste du monde. La droite probablement plus homogène, mais éventuellement parcellée entre démocratie chrétienne et libéralisme émergeant, jonglait habilement entre exigence de préserver les privilégiés, tout en ménageant la petite bourgeoisie et sans pousser les milieux populaires à la révolte. N’était 68, quelques gros mouvements sociaux et autres manifs carabinées, tout ceci fonctionna bon an, mal an ; la France demeurant dans sa constance, sous l’influence culturelle d’un centre droit bien-pensant. L’un des grands paradoxes, qui n’aura échappé à aucun politologue et sociologue, pas plus qu’à vous chers lecteurs, tient au fait que l’extrême-droite - alors directement issue du pétainisme et d’un fascisme sans concession - trouva ses premières assises électorales sous la présidence d’un socialiste ayant pourtant fait entrer des communistes au gouvernement. Et même s’il prétend s’inspirer de Rocard, Saint-Emmanuel-les-mains-jointes semble avoir beaucoup appris de Mitterrand. Lequel, avec certes plus de classes et de surface, imagina ce scénario machiavélique consistant à promouvoir Le Pen et les siens comme on allume un contre-feu et que l’on appellera ensuite et par convention : Front Républicain. Mitterrand en bénéficiera certes lors des élections suivantes, avant de connaître l’échec cuisant de la méthode, en 2002, lorsque Jospin fut exclu du second tour par le papa de Marine. Bon, cela ne lui fit ni chaud, ni rien, car il était déjà froid depuis quelques années ! Et c’est encore un François, encore un président, toujours socialiste qui nous a finalement conduit à ce dimanche 9 juin, probable tournant dramatique de notre vie politique. Par l’absence de cap, les manquements à sa parole, ses reniements, parfois ses trahisons, Hollande s’est lui même placé dans l’impossibilité de se représenter, laissant la voie libre à un pur produit de la finance, un drôle de type en réalité dont on pourrait imaginer qu’il est le premier homme entièrement créé par l’intelligence artificielle. Son projet : entrer à l’Elysée et y rester ! Quoi qu’il en coûte. Y compris par la violence. Celle qui réprima les Gilets jaunes, les Ecologistes depuis toujours et à un degré moindre les manifestants contre la retraite à 64 ans. Violence verbale qui plaît tant à ses électeurs, les « premiers de cordées », ceux de la Start up Néchion, ceux qui tiennent en horreur « les gens qui ne sont rien », les « illétrées », ceux « qui n’ont qu’à traverser rue », qui « coûtent un pognon de dingue » et d’autres qu’il a « très envie d’emmerder » ! Violence sociale enfin, avec ces coups portés au pouvoir d’achat, à la qualité de vie des plus humbles et à l’écologie. Le tout au nom d’une doctrine néo-libérale dont la théorie, non, la théologie, consiste à épargner les plus riches aussi bien ceux de la finance que des quinze pour cent de français qui gagnent autant et même plus que les quatre-vingt-cinq autres réunis ! Destruction des services publics, allégeances aux gros producteurs et agriculteurs pollueurs… on n’en finirait jamais ! Tenu aussi bien contractuellement qu’idéologiquement d’honorer le contrat qui lui a valu le soutien des monstres de la finance et des médias, il n’a pas lésiné sur la stratégie en appliquant la méthode déjà éprouvée par les socios-démocrates. Dérouler un tapis rouge aux idées nationalistes, xénophobes et liberticides en recyclant l’épouvantail FN en premier et unique adversaire du Macronisme. Il est du reste impressionnant de constater comment cette stratégie débilitante du « en même temps » destiné à expliquer et appliquer tout et son contraire a fonctionné. Et … en même temps lorsque des gens qui n’ont pas souffert du chomage, de la précarité et n’ont jamais vu un étranger dans leur rue, leur quartier ou leur village ( en langage courant ils appellent ça des bougnoules ), se mettent à voter tous en choeur pour la pire des solutions, c’est le signe de la disparition de valeur cardinales, l’abandon de toute conscience politique. Voici plusieurs décennies que l'occident, maître de la mondialisation, n’a plus qu’un objectif : rendre les populations totalement dépendantes à la consommation, aux écrans connectés, au prêt à penser. Cela à tellement bien fonctionné qu’elles se sont totalement déconscientisées, c'est-à- dire désolidarisées, déshumanisées. Trente deux pour cent des français ont voté pour un mouvement politique ouvertement xénophobe et nationaliste, héritier de traditions totalitaires et notoirement antisémites. Cela ne gêne alors personne que Le Pen - et l’ensemble de la Walkyrie - assiste à un rassemblement sioniste comme si tout avait été oublié de la Milice, de la rafle du Vel’ d’Hiv, de Vichy, de la Collaboration, des Camps de la mort ! Des détails de l'histoire... C’est qu’ils détestent désormais bien plus que les Juifs : les Palestiniens ! Alors tout est oublié. Nous traversons de sombres jours. Il y avait l’état dramatique du climat et de l’environnement, l’Ukraine, la Palestine, voici dont l’extrême droite aux portes du pouvoir. Porte ouverte d’ailleurs un peu plus par Macron, qui n’était vraiment obligé de rien dimanche soir et notamment pas de dissoudre une Assemblée tandis qu’une autre se constituait. Son bilan, sur le plan éthique, est imprésentable. Honteux. S’il avait décidé dimanche de démissionner en tirant les leçons de ses incommensurables échecs, cela n’aurait rien réglé à la menace nationaliste, mais cela aurait eu du panache. Mais il n’en a guère de panache ! sauf lorsqu’il fait la roue devant Von der Leyen, Zelenski, Biden et Bernard Arnaud. L’espoir, aussi mince qu’il puisse paraître aujourd’hui, existe à gauche. À condition que les principaux responsables de l’effondrement politique dans lequel se trouve la France ne resurgissent pas derechef. Ni les anciennes figures, ni leurs rejetons, Glucksmann ou Delga. Plus personne à gauche n’en veut et toute tentative d’OPA sur un rassemblement populaire échouerait fatalement. L’élixir ne pourra venir que de la reconstitution d’une NUPES dont peu importe le nom. Et à condition que les têtes changent. La majorité à LFI regrettera - c’est légitime - que Mélenchon sorte de la table, comme Roussel chez les Communistes ou Faure qui incarnait le courant le plus à gauche du PS. François Ruffin, qui creuse d’inlassables sillons sur la voie de la respectabilité d’un candidat de gauche radicale, doit pouvoir ici occuper un rôle quasi-messianique. Il passe bien partout et aux yeux des militants les plus convaincus, son engagement écologique et social paraît très acceptable (on le surveillerait de très près néanmoins !). Ceux qui sont résolus à tout tenter face à Bardella et Le Pen, mais qui ne veulent plus de compromis avec le centre gauche « hollandais » vont pousser dans ce sens. Très fort et très vite, car dans son abominable jeu de massacre, Macron à aussi intégré la brutalité du temps. |
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